La protection statutaire du locataire commerçant mise à mal en cas de faillite du bailleur !

La procédure collective d’un bailleur a pu être considérée comme un cas d’école mais cette hypothèse est moins rare au cours des crises économiques et elle soulève des difficultés juridiques mais surtout génère des conséquences économiques dévastatrices pour le locataire qui peut perdre son bail commercial en quelques semaines !

Le droit des procédures collectives, qui restreint certains droits fondamentaux et libertés, tel que le droit de propriété et la liberté contractuelle, n’épargne pas non plus le statut protecteur d’ordre public du locataire quand il s’agit de la faillite du bailleur.

Sur l’année 2020, on relève ainsi 560 procédures ouvertes à l’encontre de sociétés civiles immobilières (qui ne constituent qu’une partie des bailleurs) sur un total de 40 027 procédures[1].

 Un des dossiers les plus marquants a été, lors de la crise de 2008, celui de la restructuration de la société HEART OF LA DEFENSE propriétaire de locaux de bureaux à La Défense[2]. D’autres affaires plus anciennes peuvent être citées comme la liquidation judiciaire de la société INTERFACE IMMOBILIERE SAIACU, bailleur du groupe SARION-FLAMMARION dans les années 2000[3] ou encore celle de LA SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE SPORTIVE DE MERIGNAC à la fin des années 90.

Cette situation pourrait devenir plus courante dans les mois à venir puisque les bailleurs font face à de nombreux loyers impayés, qu’ils ne sont pas certains de recouvrer en raison du peu de solvabilité de leurs locataires et/ou des contentieux sur l’exigibilité des loyers pendant les périodes de fermetures administratives. 

Il faut ajouter à ce phénomène le départ de certains locataires et la faible demande sur le marché de l’immobilier commercial qui pourraient causer la vacance de nombreuses surfaces et la chute des loyers.

Le premier réflexe pour le locataire, afin de préserver ses droits, sera de déclarer les créances antérieures à l’ouverture de la procédure collective qu’il détient à l’encontre du bailleur. Parmi ces créances, on retrouve notamment le dépôt de garantie, mais aussi les éventuelles créances correspondant à des carences du bailleurs, par exemple l’inexécution de travaux dans les locaux loués ou encore l’indemnité d’éviction en cours de fixation.

Cette déclaration de créances devra remplir les conditions de droit commun visées aux articles L.622-24 et suivants et R.622-21 et suivants du code de commerce.

Jusqu’ici tout va bien, mais ensuite les choses peuvent se gâter pour le locataire.

Le droit des baux commerciaux, droit d’ordre public, protecteur du locataire, va entrer en opposition avec le droit des procédures collectives, lui aussi d’ordre public, qui a vocation à protéger avant tout le débiteur en procédure collective, ici le bailleur.

Le code de commerce ne prévoit pas de texte spécifique adapté à cette situation qui est pourtant en contradiction avec l’esprit même du droit des procédures collectives dont l’objectif voulu par le législateur est de sauvegarder les entreprises et les emplois. Or, la perte d’un bail commercial peut amener le locataire à perdre son fonds de commerce et licencier des salariés.  

Deux illustrations permettent de mettre en avant l’inadaptation de ces droits spécifiques lorsqu’ils s’opposent (1) le droit d’option des organes de la procédure et (2) le droit de préférence du preneur en cas de cession de l’immeuble.  

Les organes de la procédure peuvent-ils opter pour la résiliation du bail en cours au mépris du statut protecteur du locataire ?

Lors de l’ouverture d’une procédure collective, l’administrateur judiciaire[4], le liquidateur judiciaire[5] ou le débiteur sur avis conforme du mandataire judiciaire[6], peut décider de ne pas poursuivre un contrat en cours, sous le contrôle du juge-commissaire, s’il n’est pas en mesure d’en respecter l’exécution vis-à-vis du cocontractant durant la procédure collective. C’est le droit d’option prévu par l’article L. 622-13 du Code de Commerce.

Pour autant, le statut des baux commerciaux confère au preneur une pérennité dans les locaux pour la durée du bail et un droit au renouvellement ou à percevoir une indemnité d’éviction si ce renouvellement est refusé.

Le bailleur ne peut en aucun cas, sauf manquement du preneur à ses obligations ou opération de démolition : reconstruction de l’immeuble, résilier de façon anticipée le bail commercial. La question de l’applicabilité du droit d’option des organes de la procédure au bail commercial a donc fait naître un vif débat doctrinal que la jurisprudence n’a pas tranché, les décisions en la matière étant relativement rares[7].

Une partie de la doctrine adopte une interprétation extensive des textes relatifs au droit d’option des organes de la procédure pour soutenir son applicabilité sans restriction au bail commercial[8]. En effet, ce contrat n’est pas exclu par ces textes à l’inverse des contrats de travail ou de fiducie[9]. Une décision de la Cour de cassation du 29 avril 2002 vient implicitement consacrer cette position en appliquant à un bail commercial le régime des contrats poursuivis par les organes de la procédure[10]

D’autres auteurs soutiennent l’inapplicabilité de ce droit d’option au bail commercial[11] dans le cas de la faillite du bailleur, en se fondant sur deux éléments :

  • l’obligation principale du bailleur ne porte pas sur le paiement d’une somme d’argent telle que visée à l’article L.622-13, III, du code de commerce ; cependant cet argument est souvent écarté par la doctrine opposée car il ne s’appuie pas sur le texte dans sa globalité [12] ; et
  • la finalité du droit d’option est de permettre à l’entreprise en faillite de ne pas continuer les contrats représentant une charge ou un obstacle potentiel à son redressement, ce qui n’est pas le cas du bail. La question pourrait se poser lorsque l’exécution du bail entraînerait pour le bailleur des frais importants, tels que des travaux de réparation dont le montant serait supérieur au loyer. Cependant, l’organe de la procédure pourrait toujours décider, alors, de vendre les locaux loués. 

Plusieurs juridictions du fond ont écarté le bail commercial du régime du droit d’option en raison du statut des baux commerciaux[13] afin de faire primer le statut protecteur du locataire[14].

En pratique, le droit d’option et la résiliation du bail permettront aux organes de la procédure soit de céder un bien libre d’occupation et ainsi d’espérer majorer sa valeur, soit de conclure un nouveau bail plus rentable.

Mais ne s’agit-il pas dans ce cas d’utiliser le droit des procédures collectives à d’autres fins que celles d’éviter la liquidation d’une entreprise, sauver une activité et des emplois : le bailleur solliciterait l’ouverture d’une telle procédure dans le but d’évincer son ou ses locataires sans indemnisation.

Le Tribunal de commerce de Paris du 3 avril 2018[15]a jugé que la résiliation de l’ensemble des baux commerciaux d’un immeuble, ne portait pas une atteinte manifestement excessive aux droits des locataires, car les conditions d’exploitation des locaux étaient devenues précaires et que l’exploitation à long terme était devenue inenvisageable. Cette décision est éminemment critiquable du point de vue des locataires puisque la résiliation anticipée d’un bail porte bien sûr une atteinte excessive aux droits des locataires, notamment lorsqu’il s’agit d’une crèche dont l’activité n’est pas déplaçable en pratique ! Si bien que l’application du régime des contrats en cours au bail commercial a pu être qualifiée « d’expropriation pour cause d’utilité privée »[16].

Le sort du droit de préférence du preneur en cas de vente judiciaire de l’immeuble du bailleur défaillant

La loi dite « Pinel » du 18 juin 2014, a instauré à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce un droit de préemption au profit du preneur en cas de vente des locaux objet du bail par le bailleur.

Ce droit de préemption légal a-t-il vocation à s’appliquer dans le cadre de la vente des locaux, propriété du bailleur en procédure collective sans contrevenir aux objectifs de la loi des procédures collectives.

L’article L. 145-46-1 du code de commerce, ainsi que les dispositions relatives aux entreprises en difficulté contenues dans le livre VI dudit code, n’apportent, là encore, aucune précision quant à l’application de ce droit de préemption aux procédures collectives.

L’article instaurant le droit de préemption du locataire est limité puisqu’ il ne peut s’exercer qu’en cas de vente d’un « local à usage commercial ou artisanal ». Des exceptions sont prévues notamment en cas de cession de plusieurs locaux ou d’un périmètre plus important que la seule assiette du bail.

De plus, le texte prévoit que le droit de préemption s’applique lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial “envisage” ou “décide” de vendre celui-ci. Par définition, ce droit ne s’appliquerait qu’en cas de vente émanant de la volonté du propriétaire, aux prix et conditions décidés par ce dernier.

Ainsi, le droit de préemption pourrait ne pas être applicable aux ventes forcées. Dans le même esprit, a Cour d’appel de Bastia, a jugé que le droit de préemption légal du locataire commercial n’est pas applicable aux ventes forcées sur saisie immobilière[17].

Le droit de préemption serait donc exclu en cas d’adoption d’un plan de cession, qui est un mode forcé de réalisation de l’actif du bailleur lequel n’a pas été en mesure de présenter un plan de redressement de son activité.

Pour conforter cette position, la réforme des procédures collectives de 2008 a édicté, au travers des articles L. 626‐1 Al 5 et L. 642‐5 al. 4 du code de commerce un principe d’exclusion des droits de préemptions édictés par le code de l’urbanisme et le code rural de la pêche maritime[18]. A l’instar du droit de préemption urbain, de la SAFER ou celui des communes, le droit de préemption du locataire, instauré après cette réforme de 2008, pourrait être également exclu par les textes dans l’intérêt du plan de cession global. Le plan de cession étant établi et arrêté par le tribunal en considération de la personne du cessionnaire, du projet de reprise répondant aux critères de la loi.

Il semble en revanche, qu’en cas de cession isolée de l’immeuble donné à bail, la solution pourrait être différente. L’article L. 642-18 du code de commerce précise que cette cession est réalisée soit par adjudication judiciaire, soit par cession amiable, cette dernière se décomposant en une cession de gré à gré ou une adjudication amiable. Dans ce second cas, il ne s’agirait plus d’une aliénation forcée, ce qui n’est pas tout à fait exact à l’endroit du bailleur en liquidation, mais la qualité du cessionnaire et son projet de reprise sont sans importance, seul le prix compte, ce qui justifierait que le preneur puisse opposer son droit de préférence sans faire échouer un plan de cession global sérieux. Ce ne serait donc que dans ces circonstances que le droit de préférence du preneur serait maintenu et opposé au droit des procédures collectives.

Ainsi, par un arrêt du Conseil d’Etat du 17 décembre 2018, les juges ont considéré que le droit de préemption de la commune, pourtant écartée en plan de cession, était applicable en cas de cession amiable d’un immeuble[19]. Par analogie, le droit de préemption du locataire semble ici pouvoir retrouver son efficacité.

Ce droit de préemption doit cependant toujours être articulé avec les exceptions prévues par le régime des baux commerciaux. La Cour de cassation est venue le rappeler dans une décision rendue le 17 mai 2018[20].  Dans cet arrêt, la Cour indique qu’en présence d’une « vente aux enchères publiques » portant sur « une cession globale de l’immeuble » dont le demandeur « n’était locataire que pour partie », le droit de préférence résultant de l’article L 145-46-1 du code de commerce n’a pas vocation à s’appliquer.

La Cour semble d’ailleurs indiquer que la nature judiciaire de la cession serait un obstacle à l’application du droit de préférence. Cependant, la portée de l’arrêt sur ce point est à nuancer dans la mesure où la Cour de cassation se fonde sur l’ensemble des obstacles à l’application du droit de préférence, en l’espèce la cession globale de l’immeuble et l’adjudication forcée, et non sur le seul caractère judiciaire de la cession.

Une clarification de la compatibilité des deux droits d’ordre public ainsi confrontés serait bien bienvenue.



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Maître Catherine Saint Geniest
Avocat Associé
JEANTET & ASSOCIES


Maître Laïd Estelle Laurent
Avocat à la Cour
JEANTET & ASSOCIES

[1] Chiffres publiés par l’observatoire statistique du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

[2] Cass., com., 8 mars 2011, n°10-13.988

[3] Cass., com., 5 juin 2007, n°06-14.151

[4] Article L.622-13 du code de commerce applicable en redressement judiciaire sur renvoi de l’article L .631-14 du même code

[5] Article L.641-12 du code de commerce

[6] Article L.627-1 du code de commerce

[7] M. Kéita, « Le bail commercial en cours à l’ouverture de la procédure collective du bailleur », LPA, 30 juillet 2003, p.6

[8] A. Cerati-Gautier et V. Perruchot-Triboulet, L’immeuble et le droit des procédures collectives, janvier 2019, p.59

[9] Article L.622-13, VI, du code de commerce

[10] Cass., com., 29 avril 2002, n°99-16.602 ; Dans le même sens TI Angers, 25 juin 1986, D., 1987, somm. 98, obs. F. Derrida

[11] F. Kendérian, « Le bail commercial relève-t-il du régime général des contrats en cours en cas de procédure collective du bailleur ? », D., 2003, p.610

[12] C. Regnaut-Moutier, obs. sous CA Caen, 11 mai 2001, Act. proc. coll., 21 septembre 2001, comm. n°176

[13] CA Caen, 11 mai 2001, Rev. proc. coll., 2002, p.192, n°6, obs. P. Roussel Galle ; CA Dijon, 13 février 2003, n°01/00740

[14] CA Paris, 24 avril 1992, « SARL Ateliers de Joinville c. Pellegrini es quai », LPA, 3 mai 1993, p.14 ;

[15] Tribunal de commerce de Paris, 5ème chambre, 3 avril 2018, n° 2017072102

[16] F. Kendérian, « Le bail commercial relève-t-il du régime général des contrats en cours en cas de procédure collective du bailleur ? », D., 2003, p.610

[17] CA Bastia, ch. civ. A, 20 janv. 2016, n° 15/00833

[18] Articles L. 626‐1 et L. 642‐5 du code de commerce

[19] CE, 17 décembre 2008, n°316411

[20] Cass 3e civ, 17 mai 2018 n°17-16113