Clauses réputées non écrites : la Cour de cassation précise le régime des clauses contraires à l’article L. 145-15 du Code de commerce

baux commerciaux

Cour de cassation, 3ème civ., 19 novembre 2020, 19-20.405

Par un arrêt du 19 novembre 2020, la Cour de cassation précise le régime des clauses contraires à l’article L. 145-15 du Code de commerce tel que modifié par la loi du 18 juin 2014 (dite « Loi Pinel »).

Avant la loi Pinel, l’article L. 145-15 du Code de commerce sanctionnait par la nullité les clauses, stipulations et arrangements contraires aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux. Cette action était soumise au régime de la prescription biennale prévu à l’article L. 145-60 du Code de commerce.

Avec la loi Pinel, le législateur a substitué à la nullité des clauses leur caractère non écrit.

Ainsi, l’article L. 145-15 du Code de commerce prévoit désormais que : « Sont réputés non écrits, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l’article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54 ».

Le texte vise une série de clauses : il s’agit des clauses relatives à la durée du bail, à la révision légale du loyer, à la révision du loyer ayant varié d’un quart par le jeu d’une clause d’indexation, de l’intérêt portant sur les sommes détenues par le bailleur et excédant deux termes de loyer, de l’établissement d’états des lieux, de l’établissement d’un inventaire des charges, impôts, taxes et redevances, de la communication de l’état des travaux des trois dernières années et des trois années à venir, de la clause résolutoire et des délais accordés au preneur et enfin des règles relatives à la déspécialisation. 

En l’espèce, un bailleur avait fait délivrer à son preneur un commandement de payer visant la clause résolutoire d’un bail conclu le 20 mars 1998.

Le preneur a assigné le bailleur en annulation du commandement de payer au motif que les sommes sollicitées résultaient de l’application d’une clause du bail qui devait être déclarée non écrite.

Selon le bailleur, l’action du preneur était atteinte par la prescription biennale.

Par un arrêt du 19 décembre 2018, la Cour d’appel de Paris a déclaré non écrite sur le fondement de l’article L. 145-15 du Code de commerce la clause du bail rédigée comme suit, car contraire à l’article L. 145-38 du Code de commerce :

« XIV révision du loyer : Le loyer sera révisé, légalement en plus ou en moins, à l’initiative du bailleur tous les ans à la date anniversaire de la date de prise d’effet du bail, telle que définie ci-dessus et pour la première fois le 1er avril 1999, par application des dispositions des article 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 ou de tout texte qui fixerait d’autres modalités pour les révisions légales. »

En effet, cette clause n’est pas une clause d’échelle mobile au fonctionnement automatique et elle ne saurait être un simple rappel des dispositions de l’article L 145-38 organisant la révision légale, puisque cette dernière, d’ordre public, ne peut intervenir que tous les trois ans.

Le loyer avait cependant été révisé par le bailleur annuellement en application de la clause litigieuse, il s’ensuit que le montant indiqué au commandement de payer est en partie infondé.

La Cour d’appel en déduit que le commandement est valable uniquement à hauteur des sommes justifiées et juge que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire sont réunies. Elle précise néanmoins que par l’effet des délais de paiement accordés au locataire, la clause résolutoire est réputée n’avoir jamais joué.

Le bailleur forme un pourvoi et fait notamment grief à la cour d’appel d’avoir jugé la clause non écrite en dépit de la prescription de l’action du preneur.

Dès lors, la question était de déterminer le régime des actions en contestation des clauses contraires aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux et contenues dans des baux conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel.

Par cet arrêt, la Cour de cassation précise que l’action est applicable aux baux conclus antérieurement à la loi du 18 juin 2014 (1) et que les actions visant à faire déclarer non écrites des clauses d’un bail sur le fondement de l’article L. 145-15 du bail sont imprescriptibles (2).

  1. L’application de la sanction de l’article L. 145-15 du Code de commerce aux baux conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel

Le bailleur prétendait que la loi Pinel était inapplicable au litige, le bail ayant été conclu en 1998 soit préalablement à l’entrée en vigueur du texte.

Nous savions déjà que la loi du 18 juin 2014, ne s’appliquait pas aux procédures en cours (Cass. 3e civ., 22 juin 2017, n° 16-15.010 : JurisData n° 2017-012240 ).

La Cour de cassation précise dans cette affaire que l’article L. 145-15 du Code de commerce s’applique en revanche bien aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014.

Ainsi les clauses contestées sur le fondement de l’article L. 145-15 du Code de commerce sont réputées non écrites, peu important que le bail ait été conclu avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel.

Outre cette précision importante, l’arrêt commenté ajoute que la prescription biennale prévue en matière de statut des baux commerciaux ne s’applique pas aux actions intentées sur le fondement de l’article L. 145-15 du Code de commerce.

  • Sur l’imprescriptibilité des clauses contraires à l’article L. 145-15 du Code de commerce

Depuis la loi Pinel de 2014, trois régimes s’appliquent distinctement en matière d’actions relatives aux baux commerciaux :

–             L’action en contestation des clauses du bail visées par l’article L. 145-5 du Code de commerce dont on se demandait si elle était imprescriptible ;

–             Les actions relatives au statut des baux commerciaux, soumis à prescription biennale selon l’article L. 145-60 du Code de commerce ;

–             Les actions autres que celles mettant en cause le statut des baux commerciaux, soumises à prescription quinquennale de droit commun.

Restait non résolue la question du délai de prescription applicable aux actions exercées sur le fondement de l’article L. 145-15 du Code de commerce.

En effet, une confusion s’était installée quant au régime de l’article L. 145-15, le législateur n’ayant pas modifié l’article L. 145-60 du Code de commerce relatif à la prescription biennale. Certains auteurs soutenaient dès lors que, quand bien la sanction était modifiée, l’action était soumise à la prescription biennale.

Le caractère imprescriptible des actions visant à déclarer une clause réputée non écrite était pourtant déjà acquis puisque ces clauses sont considérées comme inexistantes (par exemple en matière d’actions tendant à faire constater non écrites les clauses d’un règlement de copropriété : Cour de cassation, 3ème chambre civile, 12 Juin 1991 – n° 89-18.331)

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation confirme que : « l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription ».

La conséquence est notable : les clauses contraires à l’article L. 145-15 du Code de commerce peuvent être contestées à tout moment, peu important la date de conclusion du bail.

Précisons néanmoins que les actions en restitution de loyer, dès lors que la clause est réputée non écrite, sont toujours soumises à la prescription quinquennale. Ainsi, le preneur malgré le caractère non écrit de la clause, ne pourra demander la restitution des sommes indûment versées par son bailleur que dans une limite de cinq ans avant l’acte interruptif de prescription.

Six ans après la loi Pinel, l’arrêt commenté opère donc une clarification nécessaire du régime des actions en contestation des clauses du bail énumérées par l’article L145-15 du code de commerce.

Catherine Saint Geniest
Avocat Associée
JEANTET

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