Covid-19 et loyers commerciaux : la bataille judiciaire ne fait que commencer

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La crise sanitaire et économique qu’a provoquée la pandémie Covid-19 a particulièrement bouleversé l’exécution des baux commerciaux. On sait que les commerces jugés « non essentiels » ont été contraints de fermer leurs portes du 15 mars au 10 mai 2020, puis à nouveau du 29 octobre au 27 novembre 2020. La fermeture a été plus longue encore pour certains établissements, comme les restaurants, les bars, les cinémas ou encore les discothèques. Les locataires se sont ainsi trouvés dans l’impossibilité d’exploiter leurs fonds de commerce, pouvant tout au plus utiliser leurs magasins pour la livraison de commandes ou la vente à emporter, comme s’il s’agissait d’entrepôts. Ils ont ainsi refusé de payer les loyers sur le fondement, tantôt de la force majeure, tantôt de l’exception d’inexécution, tantôt encore de la perte partielle de la chose louée. Si le droit des contrats a ainsi été redécouvert, c’est parce que le Gouvernement s’est contenté de suspendre les sanctions du non-paiement des loyers, et ce uniquement au profit des plus petits locataires (article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 – article 14 de la loi n° 2020-1370 du 14 novembre 2020), laissant ainsi entière la question première de l’exigibilité des loyers de la période de fermeture. Le débat a beaucoup intéressé, non seulement les praticiens des baux commerciaux, mais aussi la doctrine universitaire. Tout a été dit et écrit, sans qu’il s’en dégage de grande tendance, si ce n’est qu’il demeure toujours préférable que bailleur et preneur trouvent ensemble un accord.

Beaucoup de locataires sont effectivement parvenus à trouver une solution amiable avec leurs bailleurs, le plus souvent sous forme d’abandon de tout ou partie des loyers de la première période de fermeture. Mais le contrat ne peut pas tout, et de nombreux contentieux ont été engagés, souvent à la suite de mesures contraignantes pratiquées par les bailleurs une fois achevée la période juridiquement protégée : commandement visant la clause résolutoire, procédures civiles d’exécution, saisies conservatoires… Ont ainsi été saisis de ces litiges, non seulement les juges du fond (tribunal judiciaire ou tribunal de commerce), mais aussi les juges de l’exécution et  les juges des référés, devant lesquelles les procédures sont plus rapides.

La première décision est pourtant venue le 10 juillet 2020 d’un juge du fond, le tribunal judiciaire de Paris, qui avait été saisi à jour fixe. Mais c’était surtout une occasion manquée, car le preneur n’avait pas jugé utile de soulever les arguments habituels des locataires, ce qui a immanquablement conduit le tribunal à admettre l’exigibilité des loyers. Ce que l’on peut retenir de cette décision, c’est la proclamation au nom de la bonne foi contractuelle de la nécessité de rechercher amiablement une adaptation du bail commercial. Ainsi, deux ordonnances de référé rendues le 26 octobre 2020 par le juge des référés du même tribunal ont refusé de faire droit aux demandes de bailleurs, aux seuls motifs que les preneurs justifiaient avoir recherché une solution amiable. Cette motivation nous ramène à l’arrêt Huard (Cass. com.,3 novembre 1992, n° 90-18.547 : Bull. civ., IV, n° 338), qui s’était appuyé sur le principe de bonne foi pour en déduire l’obligation de renégocier le contrat en cas de changement de circonstances imprévisible, apportant ainsi un tempérament au refus de la théorie de l’imprévision.

Dans le même temps, plusieurs décisions ont péremptoirement écarté les arguments tirés de la force majeure et de l’exception d’inexécution. La plupart émane de juges des référés (TJ Paris, 17 juillet 2020, RG n° 20/50920 – TJ Annecy, 7 septembre 2020, RG n° 20/00275 – TJ Montpellier, 10 septembre 2020), pourtant juges de l’évidence, ce qui ne rend pas justice au débat de fond dans lequel plusieurs professeurs de droit ont soutenu l’idée que la fermeture se traduit par l’inexécution de l’obligation de délivrance du bailleur ou la perte partielle de la chose louée… Fort heureusement, d’autres juges des référés ont accueilli cette contestation sérieuse (TJ Grasse, 22 octobre 2020, RG n° 20/01120 – TJ Boulogne sur Mer, 4 novembre 2020, RG n° 20/00205). Il est vrai que la cour d’appel de Grenoble (arrêt du 5 novembre 2020, RG n° 16/04533) et le tribunal de commerce de Lyon (jugement du 17 novembre 2020, RG n° 2020/00420) se sont également prononcés au fond dans le sens d’un rejet de l’exception d’inexécution. Il est manifeste que l’idée d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance est mal comprise, et donc mal accueillie, car la fermeture des commerces n’est pas son fait. Mais les juges semblent perdre de vue que l’exception d’inexécution sanctionne une inexécution, qu’elle soit fautive ou non. Ils omettent peut-être également que le bail commercial ne confère au preneur qu’un droit personnel de jouissance, résultant de la délivrance du local pour la destination convenue, et que le loyer n’est dû qu’en contrepartie de la jouissance convenue, soit la possibilité d’exploiter le fonds de commerce. La chose est inutilisable pour les deux parties, mais c’est à son propriétaire d’assumer ce risque : res perit domino. D’ailleurs, c’est bien aux bailleurs que bénéficiera le crédit d’impôts annoncé par le Gouvernement pour les inciter à abandonner le loyer de novembre… La bataille ne fait donc bien que commencer.

Frédéric PLANCKEEL
Avocat associé ENIXIM
Maître de Conférences à l’Université de Lille

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