Le déséquilibre significatif : une machine à dynamiter les contrats commerciaux ?

déséquilibre

Notre Code Civil comprend toujours une disposition selon laquelle « le contrat fait la loi des parties ». Ce beau principe, proclamé solennellement, ne correspond cependant plus depuis longtemps au droit réel. De multiples dispositions ont été adoptées par strates successives qui se substituent dans tous les domaines à la volonté des parties. Le droit du déséquilibre significatif constitue aujourd’hui l’un des instruments les plus puissants de déconstruction de la volonté des parties.
Il peut être utilisé pour remettre en cause ex post tous les contrats entre partenaires commerciaux conclus depuis l’entrée en vigueur de la loi LME du 4 août 2008. L’article L.442-6, I, 2° du Code de Commerce dispose en effet qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou [artisan] : … De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Peu utilisé au départ, sauf par la DGCCRF pour contrôler les clauses abusives imposées par la grande distribution à ses fournisseurs, ce texte est désormais bien connu des plaideurs, et employé bien au-delà des relations fournisseurs/grande distribution, dans un nombre croissant de relations commerciales.
La réforme du droit des contrats a encore étendu le champ d’application du droit du déséquilibre significatif en le généralisant aux contrats d’adhésion. La jurisprudence a tenté d’encadrer l’expansion de la faculté de remise en cause des contrats par le biais du déséquilibre significatif en posant des garde-fous. Il en résulte un régime juridique mouvant et insatisfaisant qui milite pour une réforme du texte.

 

1. La possibilité de remettre en cause les contrats entre partenaires commerciaux sur la base du déséquilibre significatif

Il paraît désormais possible de remettre en cause une obligation contractuelle sur le fondement du déséquilibre significatif de l’article 442-6, I, 2°du Code de Commerce en cas d’absence de réciprocité relative à une même obligation, non justifiée ou nécessaire (par ex. des délais de paiement asymétriques entre le paiement des marchandises du fournisseur et celui des services du distributeur), de clauses exorbitantes laissées sans justification à l’entière appréciation de l’une des parties ou de clauses disproportionnées en faveur de l’une des parties sans justification objective.
Le juge est autorisé à sanctionner des clauses déséquilibrées même si elles n’ont pas été mises en œuvre. Même le prix et les réductions de prix peuvent faire l’objet d’une contestation sur ce fondement (Cass. Com., 25 janvier 2017).

 

2. Les tentatives d’encadrement du droit du déséquilibre significatif

La jurisprudence semble consciente des effets pervers de l’expansion du droit du déséquilibre significatif. Elle a imaginé de multiples garde-fous. La jurisprudence a d’abord commencé par limiter l’applicabilité de l’article 442-6, I, 2° du Code de Commerce aux seuls contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi LME.
Elle a ensuite exigé l’existence d’un véritable partenariat commercial entre les parties. Certaines juridictions en déduisent qu’il faut des relations antérieures (Lyon, 13 mars 2014). Il semble également acquis qu’il faut désormais que le contrat s’inscrive dans la durée et vise à développer l’activité des parties dans une relation de partenariat, ce qui exclut notamment les contrats ponctuels liés à la création d’un site internet (CEPC, avis n°, 18-03, Paris, 5-4 27 septembre 2017). Les relations gouvernées par un texte spécial ont été également soustraites au champ d’application du texte (baux commerciaux, GIE).
La notion de soumission à des obligations déséquilibrées a enfin été interprétée de façon de plus en plus en plus stricte, en exigeant une absence de négociation effective du contrat sans s’arrêter au seul rapport de forces déséquilibré entre les parties (Paris, 5-4, 20 décembre 2017) .
Ce mouvement de flux et de reflux du droit du déséquilibre significatif aboutit cependant à un régime juridique souvent aléatoire et mouvant, non stabilisé et source d’insécurité juridique.
Il est indispensable d’œuvrer à mieux encadrer ce droit afin d’assurer aux parties une plus grande sécurité juridique.

 

Pour en savoir plus, rendez-vous les 11 et 12 octobre prochains lors de notre 21ème rendez-vous annuel des « Négociations Commerciales 2019 » qui aura lieu à Paris.

 

 

Joseph Vogel
Avocat au Barreau de Paris
Joseph Vogel interviendra les 11 et 12 octobre prochains lors de notre 21ème rendez-vous annuel des « Négociations commerciales 2019 » qui aura lieu à Paris.

 

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