Convention unique et délais de paiement : quels sont les impacts de la Loi Sapin 2 ?

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Un assouplissement insuffisant du carcan de la convention unique et un alourdissement excessif des sanctions des délais de paiement.

Découvrez l’analyse de Louis Vogel et Joseph Vogel, intervenant les 12 et 13 octobre prochains lors de notre 20ème rendez-vous annuel des « Négociations commerciales 2018«  qui aura lieu à Paris.

Louis Vogel
Professeur à l’Université Panthéon-Assas
(Paris 2)

Joseph Vogel
Avocat au Barreau de Paris

 

Le droit des pratiques restrictives et abusives du titre IV du livre IV du Code du commerce n’a toujours pas trouvé son point d’équilibre. En dépit de multiples réformes, ce droit continue de faire peser sur un trop grand nombre d’entreprises des contraintes très lourdes sans faire la preuve de son efficacité par rapport aux objectifs poursuivis.

La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, dont l’objectif principal était de mettre en place un dispositif de prévention contre la corruption, s’était donnée un objectif accessoire d’amélioration des règles relatives aux pratiques restrictives et abusives, tout particulièrement en matière de convention unique et de délais de paiement. Une fois de plus, le résultat n’est pas atteint.

Un assouplissement insuffisant du carcan de la convention unique.

Tout le monde semble conscient de l’inadaptation du formalisme de la convention unique à la vie réelle des affaires dans notre pays. La loi Sapin 2 a voulu corriger l’une des imperfections de la convention unique annuelle en autorisant les entreprises à conclure des conventions pluriannuelles. Lors des travaux préparatoires de la loi, la pluriannualité a été justifiée par l’argument selon lequel elle « permettrait de rompre avec la négociation commerciale annuelle qui, d’une part, ne permet pas aux entreprises de prévoir des plans d’affaire et de développement sur une période suffisamment longue pour développer une politique stable d’investissements, et d’autre part, engage les forces des entreprises dans des négociations trop fréquentes et épuisantes pour les directions de ces entreprises » (Avis n°3756, par D. Potier, AN, 18 mai 2016).

Annuelle jusqu’à la loi Sapin 2, la convention peut donc depuis le 1er janvier 2017 être pluriannuelle. A ce titre, le nouvel alinéa 5 du I de l’article L. 441-7 issu de la loi du 9 décembre 2016 prévoit que « la convention écrite est conclue pour une durée d’un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l’année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier ».

Cet assouplissement apparent de la durée de la convention s’accompagne cependant de règles très rigides en termes de détermination du prix. En effet, lorsqu’elle est conclue pour deux ou trois ans, la convention doit fixer les modalités de révision du prix convenu, les parties pouvant prévoir la prise en considération d’un ou de plusieurs indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production.

Cependant, aux termes du  nouvel article L. 442-6, I, 7°, également issu de la loi Sapin 2, l’indice choisi devra, sous peine d’engager la responsabilité des parties, être en rapport direct avec les produits ou services concernés par la convention. Ce mécanisme traduit une conception rigide et très largement déconnectée de la formation des prix dans une économie de marché, comme si ceux-ci résultaient mécaniquement du coût des facteurs de production et de leur évolution indépendamment du jeu de l’offre et de la demande. Au-delà, la réforme opérée par la loi Sapin 2 ne résout aucun des vrais problèmes posés par la convention unique en droit français. La convention unique actuelle présente deux défauts majeurs dirimants : son champ d’application, trop large et son régime juridique trop rigide.

Ce document formaliste et particulièrement lourd doit actuellement être rédigé entre tout fournisseur et distributeur alors qu’il a vocation à tenter de prévenir les abus de la grande distribution à l’égard de ses fournisseurs en dotant l’Administration d’un outil de contrôle particulièrement bien documenté. Il apparaît inutile et coûteux de soumettre l’ensemble des relations entre fournisseurs et distributeurs à un formalisme rigide alors que le problème que l’on cherche à résoudre concerne principalement un type de relation bien particulier.

Cette généralité conduit à imposer le modèle de négociation et de contractualisation de la grande distribution à un ensemble de secteurs et de relations qui fonctionnent tout à fait différemment. Ainsi, dans la plupart des réseaux de distribution entre fournisseurs et distributeurs qui ont opté pour une distribution exclusive ou sélective, qualitative et/ou quantitative ou pour des contrats de franchise, les relations contractuelles sont à durée indéterminée. Vouloir imposer un cadre annuel, biannuel ou triannuel à une relation indéterminée n’a pas de sens et oblige ces entreprises à s’acquitter d’un double formalisme : leur contrat normal, à durée indéterminée, et une convention unique artificielle, d’une durée différente, imposée par la réglementation.

Bien plus, dans un réseau intégré, pouvant comprendre des centaines de distributeurs, la négociation ne se fait pas avec chaque distributeur. Les conditions sont fixées par la tête de réseau, le cas échéant après concertation avec le groupement ou l’amicale des distributeurs, et appliquées de façon non discriminatoire à l’ensemble du réseau. La jurisprudence fait même obligation à la tête de réseau de traiter tous ses distributeurs de manière analogue. Une négociation individuelle du fournisseur avec chacun de ses distributeurs n’est pas réaliste au sein d’un réseau de plusieurs centaines de distributeurs. La convention unique conduit donc à un formalisme artificiel totalement déconnecté de l’économie réelle.

Au-delà, sa rigidité est incompatible avec les règles de base du droit et de l’économie de marché. Telle qu’elle est interprétée par l’Administration, la convention unique annuelle doit prévoir un prix intangible pendant un an, sauf avenant signé par les deux parties, seule la convention grossiste convenue entre fournisseurs et grossistes étant un peu plus souple. Cette intangibilité annuelle des prix ne correspond pas aux impératifs du marché.

Dans une économie de marché, les prix sont libres et doivent pouvoir évoluer à tout moment. Pour cette raison, dans tous les grand pays occidentaux, il est admis que le fournisseur peut fixer et faire varier le prix de vente de ses produits ou services. La jurisprudence l’affirme en France depuis les arrêts de principe rendus par la Cour de cassation le 1er décembre 1995, soit plus de 20 ans. Le nouveau droit des contrats applicable pour tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 a codifié cette jurisprudence à l’article 1164 du Code civil : dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation.

Cette règle ne pose aucun problème d’application puisque la jurisprudence, aujourd’hui codifiée, a toujours tempéré la fixation unilatérale du prix par le fournisseur par l’exigence d’une absence d’abus de sa part. En vertu de l’article 1164, al. 2, du Code civil, en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant, la résolution du contrat.

L’intangibilité annuelle des prix ou leur révision trop encadrée dans le cadre de conventions pluriannuelles sont ainsi directement contraires aux exigences de souplesse de la formation du prix dans un système de libre concurrence alors que le droit positif autorise expressément cette souplesse. Plutôt que d’effectuer des raccommodages récurrents et insatisfaisants du titre IV du livre IV du Code de commerce, ne serait-il pas nécessaire de procéder à une refonte globale du texte qui pour l’heure n’est ni efficient ni équitable et rend notre droit peu attractif ?

 

Un alourdissement excessif des sanctions en matière de délais de paiement.

En matière de délais de paiement, la loi Sapin 2 introduit deux changements importants. Elle prévoit d’abord une dérogation aux délais de paiement conventionnels au profit des entreprises qui exportent en-dehors de l’Union européenne, afin de ne pas les désavantager par rapport à leurs concurrents étrangers : dans ce cas, le délai de paiement pourra atteindre 90 jours à compter de la date d’émission de la facture au lieu des 60 jours du droit commun. Dans le même temps, la loi renforce la sanction du non-respect des délais de paiement, en augmentant très lourdement l’amende encourue par les personnes morales, en supprimant le plafond légal en cas d’infractions multiples et en prévoyant une publication systématique des condamnations.

Depuis la loi Sapin 2, le non-respect des délais de paiement est ainsi passible d’une amende administrative dont le plafond est de 75 000 euros pour une personne physique et de 2 millions d’euros pour une personne morale.

Le relèvement des sanctions n’est pas critiquable en soi. Les amendes antérieures n’étaient en effet pas suffisamment élevées et dissuasives, certains grands groupes s’étant autorisés à mener une politique systématique de non-règlement pendant plusieurs mois afin de contraindre leurs partenaires à leur accorder des baisses de prix sans être aucunement effrayés par les amendes encourues.

La loi Sapin 2 est cependant allée trop loin dans la rigueur des sanctions en supprimant la règle traditionnelle du non cumul. Désormais, lorsqu’à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement.

Le déplafonnement est particulièrement inquiétant en matière de délais de paiement. Une entreprise peut avoir à gérer des milliers de factures. Une petite entreprise qui aurait des retards de paiement de 1000 factures serait ainsi exposée en théorie à une amende de 2 milliards d’euros. Même s’il convient d’espérer que l’Administration utilisera ses pouvoirs de sanction avec modération, le déplafonnement des amendes ouvre théoriquement la porte à des sanctions complètement disproportionnées.

Pour en savoir plus, rendez-vous les 12 et 13 octobre prochains lors de notre 20ème rendez-vous annuel des « Négociations commerciales 2018«  qui aura lieu à Paris.

 

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