Les restructurations face à l’imprévisibilité de la règle de droit

Sans titre-6 copierSamuel Schmidt
Avocat associé
UGGC Avocats
Intervenant lors de la conférence EFE  «Techniques de restructuration » qui a lieu les 19 et 20 juin 2014 à Paris

Les restructurations face à l’imprévisibilité de la règle de droit

À l’heure où le pacte de responsabilité marque, semble-t-il, un regain de confiance dans l’entreprise et les entrepreneurs, certaines mesures récentes proposées par le législateur allaient pourtant en sens contraire et dénotaient une certaine défiance envers les entreprises et notamment s’agissant de leurs opérations de réorganisations/restructurations.

Le Conseil constitutionnel, par plusieurs décisions, a annulé certains de ces dispositifs. Cependant, force est de constater, que le juriste architecte d’une restructuration doit toujours prendre en compte la marge d’imprévisibilité des règles juridiques.

Certes, comme a pu l’affirmer le Conseil  constitutionnel, le caractère nécessaire de l’impôt (consacré par l’article 13 de la Déclaration de 1789) implique que « l’exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni entraver la légitime répression » (Cons const 29 décembre 1983, n°83-164 DC).
Cela ne doit pas pour autant se faire au détriment du principe constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi : c’est sur ces motifs que le Conseil constitutionnel a annulé la nouvelle définition que le législateur avait tenté de donner de l’abus de droit en permettant à l’administration de qualifier d’abus de droit une opération qui visait « principalement » à diminuer la charge fiscale et non plus « exclusivement ».
Le Conseil souligne notamment que cette modification aurait conféré à l’administration fiscale «  une importante marge d’appréciation » « dans une procédure qui peut aboutir à de lourdes sanctions pour le contribuable » (Conseil const, 29 décembre 2013, n°.2013-685 DC, considérant n°118).

Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a annulé la disposition qui prévoyait une obligation de déclaration à l’Administration fiscale des « schémas d’optimisation fiscale » par toute personne les commercialisant, les élaborant ou les mettant en œuvre. Le Conseil note que la définition excessivement « générale et imprécise » de la notion de « schéma d’optimisation fiscale » et les restrictions qu’elle aurait apportées à la « liberté d’entreprendre, notamment aux conditions d’exercice de l’activité de conseil juridique et fiscal, et à la gravité des sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation » (Conseil const, 29 décembre 2013, n°.2013-685 DC, considérant n°91).

Enfin, dans une décision en date du 27 mars 2014, le Conseil constitutionnel a partiellement invalidé la loi dite « Florange »,  à savoir l’ensemble du dispositif de sanction au non respect de l’obligation de rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement ou en cas de refus d’une offre de reprise sérieuse : le conseil considère que ces dispositions,  permettant au juge de prononcer une pénalité pouvant atteindre 20 fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé, « conduisent le juge à substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise, qui n’est pas en difficulté, pour des choix économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise » (Conseil const, n°2014-692).

Ces décisions du Conseil constitutionnel, pour significatives qu’elles soient sur le plan de la réaffirmation de certains principes de droit constitutionnel et de la prévisibilité juridique, ne doivent pas pour autant masquer les risques de remise en cause des schémas de restructurations tant par l’administration fiscale que par les juges, qui disposent d’outils performants pour ce faire. Les exemples ne manquent pas :

1)                  Holding animatrice

La notion de holding animatrice fait ainsi partie de ces concepts souples mais ayant pris une importance de plus en plus grande en matière de fiscalité : l’administration fiscale, a ainsi récemment durci sa position lors de contrôles fiscaux, par exemple en exigeant pour permettre aux titres d’une société holding d’être qualifiés de biens professionnels au sens de l’article 885 O bis du CGI (et bénéficier ainsi du régime d’exonération de l’assiette de l’ISF), que la société holding exerce un rôle d’animation à l’égard de chacune des filiales ou encore en exigeant une participation majoritaire (O. de Saint-Chaffray, ISF : holding animatrice). L’administration refuse toute détention de participations passives ( FR Lefebvre 31/2013, inf. 15, p. 31).

2)                   L’application aux cessions de matériels intra-groupes de la notion de convention de successeur

Dans un arrêt en date du  3 avril 2013, la Cour de cassation a clairement affirmé l’application de l’article 720 du Code général des impôts (application des droits d’enregistrements proportionnels relatifs aux cessions de fonds de commerce aux conventions de successeur, à savoir les conventions ayant pour effet « de permettre à une personne d’exercer une profession, une fonction ou un emploi occupé par un précédent titulaire », le droit de mutation est exigible sur toutes les sommes dont le paiement est imposé au successeur du chef de la convention, sous quelque dénomination que ce soit, ainsi que sur toutes les charges lui incombant au même titre qu’ à une simple cession de matériels entre sociétés d’un même groupe  (Cass Com, 3 avril 2013, n°12-10042), ce qui constitue une lecture pour le moins extensive dudit article et une remise en cause d’une jurisprudence ancienne.   

3)            La notion de branche complète d’activité

Le CGI ne donne pas de définition de la branche complète d’activité et les solutions retenues pour la qualification de branche complète d’activité font l’objet d’une casuistique peu propice à la sécurité juridique. Deux arrêts récents, l’un de la Cour de cassation (rendu en matière de droits d’enregistrement), l’autre du Conseil d’État (en matière d’application du régime de faveur à un apport partiel d’actif), s’agissant d’une même opération, démontrent les difficultés pouvant être occasionnées par cette appréciation au cas par cas.

Une société avait apporté « sa branche complète et autonome de franchisage de produits de droguerie, peinture et travaux manuels », en bénéficiant du sursis d’imposition prévu à l’article 210 B du CGI. L’administration a remis en cause l’application de ce régime, en soutenant qu’à défaut d’avoir transféré la pleine propriété de la marque, le transfert de la branche d’activité ne pouvait être considéré comme complet. Le Conseil d’État décide au contraire que le « droit d’usage illimité de la marque, ne comportant aucune clause de résiliation permettait de regarder la mise à la disposition et l’usage comme suffisamment durable » et donc permettait la qualification de branche complète d’activité » (CE, 10ème et 9ème ssection, 6 décembre 2013, n°346809, revue de droit fiscal, n°9, 27 février 2014, comm. 184, Charles Ménard, Branche complète d’activité : une petite touche supplémentaire pour en éclaircir les contours).
Dans cette même affaire, la Cour de cassation casse l’arrêt de la  cour d’appel qui avait admis la qualification de branche complète en lui reprochant de ne pas avoir recherché si le droit d’usage de la marque, conféré par le traité d’apport, suffisait de manière pérenne à assurer le fonctionnement  de l’activité apportée (Cass com, 29 janvier 2013, n°1212.966).

Du point de vue juridique, l’universalité de l’apport partiel d’actif est également porteuse d’une certaine instabilité : en réaffirmant dans un arrêt récent que « sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d’apport, l’apport partiel d’actif emporte, lorsqu’il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle, de la société apporteuse à la société bénéficiaire, de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d’activité qui fait l’objet de l’apport » (Cass com, 12 février 2013, Bulletin Joly Sociétés, 1er septembre 2013 n°9, p. 575 et s., commentaire Bruno Dondero).
Elle permet potentiellement aux juges de venir « compléter » la branche apportée par des actifs ou des passifs non expressément mentionnés dans le traité.
À cet égard, une question importante pour la sécurisation des opérations d’apport, qui à notre sens n’a jamais été tranchée par la Cour de cassation, est de savoir si la clause prévoyant que la « branche d’activité transférée comprend les éléments listés dans le traité d’apport, à l’exclusion de tout autre »  vaut dérogation expresse au sens de l’arrêt précité (voir Bruno Dondero, op.cit.).

Dans un contexte de concurrence exacerbée entre systèmes juridiques, il est fort regrettable que certaines notions essentielles à des restructurations efficientes et sécurisées ne soient pas encore stabilisées. L’espoir est cependant permis.
Un seul exemple : la volonté affichée par le récent Conseil de la simplification pour les entreprises de « développer les réponses garanties » – ou rescrits en matière fiscale – (50 mesures pour la simplification des entreprises,  14 avril 2014, règle n°3») ou d’appliquer un « principe de non-rétroactivité fiscale pour les entreprises » (règle n°4) au rebours de ce qui a été pratiqué jusqu’à présent…

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