L’ordonnance du 14 mars 2014 sur la prévention des difficultés des entreprises et les procédures collectives : une réforme en demi-teinte

Jean-Emmanuel KUNTZJean-Emmanuel Kuntz
Avocat Associé
KUNTZ & ASSOCIES
Intervenant lors de la conférence EFE « Nouvelle ordonnance sur la prévention des difficultés des entreprises et procédures collectives » qui aura lieu le 9 avril 2014 à Paris

Après une consultation  d’ampleur en 2013, l’ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives a été publiée le 14 mars dernier. Cette réforme, tant attendue, modifie la situation du débiteur et des ses associés en procédure collective (I) tout en améliorant le traitement des créanciers (II).

I-                   Modifier la situation du débiteur et de ses associés

L’ordonnance du 14 mars 2014 entend prévenir toute aggravation de la situation du débiteur en raison de l’ouverture d’une procédure amiable ou judiciaire de résolution de ses difficultés. À cet effet, toute clause contractuelle ayant pour objet ou pour effet d’aggraver la situation du débiteur en raison de la désignation d’un mandataire ad hoc ou de l’ouverture d’une conciliation, ainsi que les clauses mettant à sa charge les honoraires du conseil du créancier sont réputées non écrites (article 14 modifiant l’article L.611-16). De plus, toute action diligentée par un créancier au cours d’une conciliation ou de l’exécution de l’accord de conciliation, si ce dernier n’est pas partie à l’accord, pourra être contrée par l’octroi de délais de paiements tirés des articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil (articles 5 et 8 modifiant les articles L.611-7 et L.611-10-1).

En outre, la procédure de conciliation ainsi que la période d’observation de la procédure de sauvegarde ne donneront désormais plus lieu à la capitalisation des intérêts de l’article 1154 du Code civil (article 8 et 31 modifiant les articles L.611-10-1 et L.622-28).

Mais la véritable innovation de cette réforme réside dans la suppression de l’obligation de paiement comptant des contrats continués, largement critiquée par la doctrine et les praticiens, même si celle-ci réapparaît en redressement judiciaire (articles 23 et 53 modifiant les articles L.622-13 et L.631-14).

Rompant toutefois avec l’attractivité voulue de la procédure de sauvegarde, l’ordonnance a, en outre, renforcé le caractère coercitif de cette procédure en maintenant l’extension de procédure et en désolidarisant le dirigeant de l’issue de celle-ci. En effet, les créanciers ont désormais la possibilité de proposer un projet de plan présenté au Tribunal de manière concurrente à celui du débiteur (article 43 modifiant l’article L.626-30-2). De surcroît, à défaut d’adoption d’un plan, l’administrateur, le mandataire ou le ministère public peuvent désormais solliciter la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire et ce, nonobstant l’éventuelle réticence du dirigeant et même l’absence de tout état de cessation des paiements (article 22 modifiant l’article L622-10).

De plus, les associés ou actionnaires voient leurs obligations fortement renforcées et leurs droits remis en cause même si la cession forcée des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières détenus par les associés ou actionnaires non dirigeants n’a finalement pas été retenue. En effet, la partie non libérée du capital devient immédiatement exigible du seul fait de l’ouverture de la procédure collective (article 35 créant l’article L.624-20). De plus, le libre exercice de leur droit de vote pourra désormais être altéré. Non seulement le Tribunal peut donner mandat à l’administrateur judiciaire de convoquer une assemblée générale tout en modifiant les règles de majorité ou de quorum, y compris en sauvegarde (article 38 créant l’article L.626-16-1 et l’article 46 modifiant l’article L.626-32) mais, surtout, si le projet de plan de redressement induit une modification du capital alors même que les capitaux propres n’auraient pas été reconstitués, un mandataire ad hoc pourra être désigné, aux fins de voter en lieu et place de tout associé ou actionnaire opposé à la reconstitution minimale des capitaux propres (article 52 créant l’article L.631-9-1).

II-                Améliorer le traitement des créanciers

L’ordonnance du 14 mars 2014 entend concilier les intérêts du créancier avec ceux de l’entreprise en difficulté afin que celui-ci n’ait plus seulement à la subir mais puisse véritablement y prendre part. L’avancée majeure de cette ordonnance est la possibilité conférée aux créanciers, dans le cadre des comités des créanciers, de proposer un plan concurrent à celui du débiteur sur lequel les comités seront appelés à voter et qui sera, le cas échéant, proposé au Tribunal (article 43 modifiant l’article L.626-30-2).

Les intérêts du créancier, a fortiori institutionnel, lorsqu’ils coïncident avec ceux du débiteur ont dorénavant vocation à être pris en compte. Ainsi, les créanciers institutionnels seront nommés contrôleurs dès lors qu’ils en font la demande (article 19 modifiant l’article L.621-10) et le commissaire à l’exécution du plan peut désormais solliciter une modification du plan au profit des créanciers (article 41 modifiant L.626-26).

En outre, l’ordonnance du 14 mars 2014 simplifie les règles inhérentes à la déclaration de créances. Une présomption est en effet créée, en vertu de laquelle lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier, lequel pourra ratifier la déclaration jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission des créances (article 27 modifiant l’article L.622-24). En outre, le relevé de forclusion sera facilité, l’action n’ayant plus à être introduite dans le délai maximum d’un an et le délai de déclaration commençant à courir à compter de la notification de la décision le relevant de sa forclusion (articles 27 et 29 modifiant les articles L.622-24 et L.622-26).

Le droit de gage du créancier est également préservé, la déclaration d’insaisissabilité de l’article L. 526-1 du Code de commerce pouvant désormais être annulée sur le fondement des nullités de la période suspecte (article 56 modifiant l’article L.632-1). De même, le traitement privilégié de certains créanciers n’est pas remis en cause, le créancier bénéficiant du privilège de « new money»  n’ayant pas à être intégré au plan (article 40 modifiant l’article L.626-20) et la primauté, pour ne pas dire la suprématie, du droit de rétention et des sûretés-propriétés demeure.

Tout en modifiant l’approche des procédures collectives, cette réforme permet des améliorations en pratique, telle que l’apport de précisions quant au pouvoir juridictionnel du juge commissaire en matière de vérification des créances (article 34 modifiant l’article L.624-2) ou encore la clôture facilitée d’une liquidation judiciaire lorsque l’intérêt de la poursuite de la procédure est disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels (article 77 modifiant l’article L.643-9).

Néanmoins, en procédant par des réformes successives, souvent circonstanciées, la structuration et la cohérence des procédures entre elles sont remises en cause. Ainsi, devient-il possible d’envisager une cession totale ou partielle en conciliation, de contraindre un débiteur en sauvegarde à adopter un plan dont il n’aurait pas voulu, d’ouvrir un redressement judiciaire sur demande du mandataire judiciaire, de l’administrateur judiciaire ou du ministère public en raison du défaut d’adoption d’un plan, et ce en l’absence de tout état de cessation des paiements. Mais surtout, à la sauvegarde financière accélérée, l’ordonnance ajoute une sauvegarde – dite simplement accélérée – dont la pertinence de la création tant que de l’utilité doivent être démontrées.

Nombre de problématiques sont en revanche passées sous silence par cette réforme : entre autres le groupe de sociétés ou encore le sort des covenants sont oubliés, alors même que la réforme en cours du Règlement Européen 1346/2000 ayant fait l’objet d’une communication de la Commission Européenne du 14 mars 2014 en vue de son approbation par le Parlement Européen, aurait pu conduire à de nouvelles adaptations anticipées de notre droit. Cette ordonnance, tant attendue, comporte toutefois des améliorations notoires dont le décret d’application permettra d’apprécier la réelle portée.

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