Standardisation des contrats et technique contractuelle

Pierre Mousseron
Agrégé des Universités, Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier
Directeur du Master Droit du Commerce International
Intervenant EFE, formation « Panorama 2012 du droit des contrats » des 27 et 28 mars 2012, Paris

Face à des textes changeants, une jurisprudence versatile, une doctrine confuse et une disponibilité réduite, les rédacteurs de contrats trouvent souvent leur salut dans des conditions générales ou des contrats standardisés. Ils recourent ainsi à des contrats-type proposés par des associations professionnelles ou des modèles préalablement établis par leurs soins. C’est le temps du surgelé contractuel et du « copier-coller ».

Qu’on s’en félicite ou qu’on la déplore, cette standardisation modifie la technique contractuelle.

Elle modifie les techniques de négociation. Celle-ci est accélérée par le recours à des conditions générales qui limitent la marge des négociateurs à des conditions particulières souvent elles-mêmes standardisées. Les contrats d’affaires sont de plus en plus souvent négociés à partir de term-sheets contenant des rubriques entre lesquelles il suffit de faire un choix. Dans ce contexte, la responsabilité pré-contractuelle est moins probable compte tenu de la moindre durée et du moindre investissement consacrés aux négociations.

Elle enrichit les contrats. Les professionnels n’ont pas à redécouvrir la roue à chaque contrat. Ils cristallisent leurs expériences au sein de documents qu’ils conservent pour de futures applications. Plusieurs cabinets d’avocats se sont ainsi dotés d’un département en charge du knowledge management pour s’assurer de la conservation de l’expérience professionnelle accumulée dans les modèles de la maison.

Elle alourdit les contrats. À chaque nouvelle application, le modèle de contrat s’épaissit d’une couche supplémentaire réduisant à chaque fois la probabilité que quelqu’un lise – ou comprenne – l’intégralité du document.

Elle modifie les lois applicables au contrat. C’est d’abord le Droit de la consommation qui s’est préoccupé des contrats standardisés. En 1988, le législateur a introduit l’action en suppression des clauses abusives. Aux termes de l’article L. 421-6 alinéa 2 du Code de la consommation, « le juge peut… ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ». Les contrats entre professionnels connaissent une évolution voisine. En 2008, le législateur a stigmatisé le fait par tout producteur, commerçant ou industriel « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Dans l’appréciation de ce caractère « significatif », les juridictions prennent en compte le fait que certaines clauses sont stipulées dans des contrats-type. En outre, dans le quantum de l’amende, le juge prend aussi en compte la diffusion de ce contrat. Le 7 septembre 2011, le Tribunal de commerce de Lille a ainsi condamné la société Eurauchan à une amende civile de 1 000 000 d’euros en justifiant ce montant par le nombre de fournisseurs auxquels la convention-type dénommée « Eurauchan 2009 » avait été appliquée. Afin de mieux appréhender l’impact concurrentiel de ces contrats-type, les autorités de la concurrence sollicitent leur modification. Dans le cadre d’une procédure devant l’Autorité de la concurrence en 2011, Carrefour s’est ainsi engagé à modifier son contrats-type de franchise Carrefour Market.

Elle modifie le contentieux des contrats. Le contentieux relatif à un contrat standardisé ne concerne pas simplement les parties audit contrat mais aussi tous ceux qui en auront conclu un semblable. Ce faisant, les contentieux souvent plus rares auront un impact plus lourd. Pour échapper à cet effet, les rédacteurs recourent à l’arbitrage pour éviter la propagation de décisions de jurisprudence défavorables.

Elle forme des usages. La standardisation des contrats crée une communauté juridique entre toutes les parties qui ont conclu des contrats de ce type. Cette communautarisation est propice à l’adoption de pratiques répétées et identiques constitutives d’usages. Chaque partie à ces contrats-type pourra utilement identifier le contenu de ces usages. Parfois, c’est une association professionnelle qui aura cette fonction. Dans un arrêt du 9 juin 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi conféré la valeur d’usage aux Incoterms qui sont des termes commerciaux définis et interprétés par la Chambre de commerce internationale (CJUE ElectroSteel, Aff. 87/10). En matière interne, la Cour d’appel de Versailles a conféré le statut d’un recueil d’usages à un guide édité par l’Association française des investisseurs en capital (AFIC). Cela lui a permis de conclure au caractère non contraignant et non exclusif d’une lettre d’intention (CA Versailles 30 juin 2011, JCP éd. E 2011, 1877). Une fois reconnus, ces usages vont modifier les contrats-type qui modifieront plus tard les usages…

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