Direction sociale dans les SAS : à l’épilogue de l’affaire Rexor, la prudence reste de mise

Un arrêt du 25 janvier 2017[1] sur l’affaire dite « Rexor » avait suscité des inquiétudes sur la pérennité des stipulations des pactes d’actionnaires relatives à la direction sociale de la société par actions simplifiée (« SAS »). En effet, la Chambre commerciale avait semblé interdire les pactes lorsqu’ils sont relatifs à la direction de la société, ce qui est pourtant fréquemment utilisé par la pratique. Le second arrêt de la Chambre commerciale dans cette affaire Rexor rendu le 20 novembre 2019[2] clôt une procédure de 15 ans, sans apporter de réponse aux questions suscitées par l’arrêt de 2017.

Contrairement à la rigidité de la société anonyme (« SA »), la direction de la SAS est sans nul doute l’un des domaines où la liberté d’organisation propre à cette structure juridique s’exprime de manière la plus singulière. L’article L. 227-5 du code de commerce dispose en effet en des termes limpides que « Les statuts déterminent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ». Pour cette société « contractualisée » via ses statuts, il n’y a qu’une seule réserve à cette liberté, celle relative à la représentation de la personne morale à l’égard des tiers, pour des raisons évidentes de sécurité juridique. L’article L. 227-6 du code de commerce prévoit à ce titre des normes légales impératives à propos du président et des éventuels directeurs généraux.

Dans l’affaire Rexor, une personne physique actionnaire majoritaire avait cédé ses titres détenus dans une SA. Il était prévu dans le protocole de cession un mécanisme original d’earn-out inversée, aux termes duquel le cédant, s’il gardait son poste d’administrateur, devait restituer une partie du prix en cas de baisse du chiffre d’affaires de la société suivant la cession. Par la suite, la SA a été transformée en SAS mais sans que les nouveaux statuts n’instituent formellement un conseil d’administration alors que celui-ci restait maintenu en pratique et continuait même d’être inscrit sur le K-bis de la société postérieurement à sa transformation. S’en est suivi un litige sur le prix de cession, le cédant estimant qu’il n’était plus formellement administrateur et que la clause de réduction de prix ne lui était donc pas applicable. Les juges du fond n’ont pas suivi le cédant et ont estimé que la clause devait jouer, en ayant conclu à la permanence de sa qualité d’administrateur. La Cour de cassation est intervenue et a sèchement censuré l’arrêt des juges du fond jugeant que « seuls les statuts de la SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. »

Par les termes employés et la publicité conférée (Bulletin, site internet de la Cour de cassation, rapport annuel), cet arrêt sonnait comme un vrai rappel à l’ordre sur le rôle exclusif des statuts pour la détermination du mode de direction de la SAS.

Fallait-il considérer que l’arrêt du 25 janvier 2017 conduit à ce que les pactes ne puissent plus encadrer la direction de la société ?

Une réponse négative a été donnée en doctrine : « Il ne fait donc pas de doute que le recours à de tels pactes adjoints est possible, mais bien évidemment dans le respect des textes. En particulier, et pour respecter les articles L. 227-5 et L. 227-9 précités, les principes d’organisation de la direction et les conditions dans lesquelles sont prises les décisions collectives des associés doivent figurer aux statuts ; en revanche, il ne nous semble pas interdit que les détails de cette organisation ou des conditions de fonctionnement des organes figurent dans un autre document tel qu’un règlement intérieur »[3].

Par son arrêt du 20 novembre 2019, la chambre commerciale confirme totalement sa jurisprudence consacrée en 2017. En effet, selon la Cour de cassation, « les statuts de la SA […] après sa transformation en SAS ne faisant pas mention d’un conseil d’administration, [le cédant] n’avait pas conservé sa qualité d’administrateur à la suite de la modification de la forme juridique de cette société ». Cependant l’arrêt laisse en suspens toutes les questions suscitées par la généralité de l’attendu de principe précité, à savoir le caractère monopolistique des statuts sur les conditions de direction de la SAS, et en particulier la possibilité (ou non) de préciser dans un document extrastatutaire les modalités de compétence et de fonctionnement d’organes régulièrement prévus dans les statuts ou l’introduction de manière extrastatutaire d’organes ne figurant pas du tout dans les statuts.

À l’évidence, des pactes ne sauraient se substituer aux statuts, ni même combler les lacunes de ceux-ci, mais seulement apporter des précisions à titre de complément aux stipulations statutaires, comme rappelé par la doctrine ci-dessus. La pratique est en ce sens comme l’attestent les nombreux pactes d’actionnaires relatifs à la direction de la SAS. Les pactes ne peuvent par eux-mêmes déterminer les organes chargés d’assurer la direction de la société et les conditions de leur organisation, mais ils peuvent préciser ou aménager, en complément des statuts (et non en substitution), les modalités d’organisation ou de fonctionnement de ces organes de direction. Le pacte d’actionnaires peut, en ce domaine, compléter ou préciser mais il ne peut suppléer ou se substituer.

Toutefois, ces arrêts doivent inciter les praticiens à une prudence et une vigilance toujours plus accrues dans la rédaction des statuts concernant les règles de direction de la SAS. En pratique, afin de ne pas mettre en cause la pérennité des conventions de management, on veillera à faire jouer la complémentarité du pacte et des statuts en déterminant les bases fondamentales de la direction dans les statuts (l’existence des organes, leur intitulé, la nature collégiale ou individuelle, leur composition, les modes de nomination et de révocation, les compétences de principe, les modalités de prise des décisions) et des modalités de fonctionnement plus affinées dans le pacte venant ainsi compléter les statuts. 

Le pacte d’actionnaires reste un contrat qui ne saurait faire obstacle à l’ordre public sociétaire, certes réduit à la portion congrue pour les SAS mais pas inexistant.


[1] Cass. Com., 25 janv. 2017, n° 14-28792

[2] Cass. com., 20 nov. 2019, n° 18-17787

[3] M. Germain, P.-L. Périn et H. Azarian, sociétés par actions simplifiées – organisation des pouvoirs-fonctionnement, J.-Cl. sociétés Traité, Fasc. 155-20, no 8

Eric HICKEL
Avocat Associé, Partner
Victor Fayad-Walch
Avocat à la Cour
PWC Société d’Avocats

Maître Eric Hickel interviendra lors de notre 30ème Panorama d’actualité des PACTES D’ACTIONNAIRES qui aura lieu le 4 février 2021 en distanciel et à Paris.