Une déferlante de procédures collectives redoutée mais pas encore d’actualité

  1. L’ensemble des acteurs économiques s’accordent à dire que la crise sanitaire liée à la pandémie du Coronavirus sera suivie d’une crise économique sans précédent. Pour autant, alors qu’une vague de défaillances d’entreprises était annoncée dès le deuxième trimestre 2020, un certain nombre semble avoir pu être évité à ce jour. De fait, le nombre de procédures collectives ouvertes en France au cours du deuxième trimestre 2020 a diminué de près de 53 % par rapport à l’année précédente sur la même période .

Ceci peut s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs :

  • Le premier est lié à la fermeture temporaire de nombreux tribunaux de commerce pendant la période de confinement, qui a entraîné la suspension de la majeure partie de leurs activités et fortement impacté leur fonctionnement.

En dépit de ce contexte, certaines juridictions, dont le Tribunal de Commerce de Paris, se sont mobilisés pour assurer la continuité de leur mission d’accompagnement des entreprises en difficulté et, plus particulièrement, la gestion des procédures d’urgence, cette notion étant appréciée au cas par cas par le président du Tribunal de commerce.

Concernant les procédures collectives en cours d’exécution, seule la mise en œuvre des plans de cession était considérée comme une procédure urgente, à condition que la cession ait un impact sur l’emploi.

Pour le reste, priorité a été donnée à la gestion des procédures de prévention (mandats ad-hoc, conciliations) et les procédures d’enregistrement des déclarations de cessation des paiements ont, au contraire, été momentanément gelées ou retardées.

  • Le deuxième est lié à l’application des dispositions de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale. En effet, au-delà de favoriser le recours aux procédures préventives (conciliation et sauvegarde notamment) et d’allonger les délais des procédures collectives, cette ordonnance a procédé à l’adaptation des règles d’appréciation dans le temps de l’état de cessation des paiements en prenant en compte la situation du débiteur au 12 mars 2020. Ainsi, toute société ayant connu des difficultés financières à l’occasion du confinement disposait d’un délai de trois mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire pour déclarer l’état de cessation des paiements. Par ailleurs, en cas d’état de cessation des paiements apparu postérieurement au 12 mars 2020 et pendant la période de protection (qui prendra fin le 10 octobre 2020), le tribunal peut bien entendu être saisi, mais ne peut pas constater pendant cette période l’état de cessation des paiements (sauf fraude) et ne peut donc ouvrir la procédure collective pendant cette période.
  • Le troisième est lié aux mesures gouvernementales prises au cours du deuxième trimestre pour aider les entreprises à lutter contre les difficultés induites par le confinement, qui ont joué un rôle d’amortisseur.
    Sont notamment visés :
    o Les prêts garantis par l’Etat (« PGE ») : rappelons que ce dispositif exceptionnel de garanties permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros est ouvert à toutes les entreprises jusqu’au 31 décembre 2020 quelles que soient leur taille et leur forme juridique . Le montant du prêt peut atteindre jusqu’à trois mois de chiffre d’affaires 2019 ou deux années de masse salariale pour les entreprises innovantes ou créés depuis le 1er janvier 2019. Aucun remboursement n’est exigé la première année et l’entreprise peut choisir d’amortir le prêt sur une durée maximale de 5 ans.
    o Le dispositif d’activité partielle qui permet aux entreprises de procéder à une fermeture temporaire ou à une réduction temporaire de l’horaire de travail, sur autorisation administrative préalable, la perte de rémunération générée par cette activité partielle étant indemnisée par l’allocation aux salariés d’une indemnité prise en charge, en tout ou partie, par l’Etat et l’Unedic (C. trav., art L.5122-1).
  1. Plusieurs grandes entreprises françaises ont toutefois fait l’objet de procédures collectives au deuxième trimestre 2020. Parmi elles, des enseignes de vente de vêtements telles que Camaïeu, La Halle ou encore Celio. Les secteurs d’activité les plus touchés aujourd’hui sont ceux du commerce de détail, de l’hôtellerie-restauration, sans oublier les secteurs du sport, du tourisme et du transport aérien que la crise sanitaire n’a pas épargnés.
  2. Les prévisionnistes annoncent une explosion du nombre de procédures collectives à compter du dernier trimestre 2020. Ainsi, les sociétés Euler Hermes et Altarès annoncent plus de 60 000 défaillances d’entreprises entre mi-2020 et mi-2021. A l’inverse, le Président du Conseil National des Administrateurs Judiciaires et Mandataires Judiciaires (CNAJMJ), Monsieur Christophe Basse, ne croit pas du tout à un pic en septembre-octobre 2020. Selon lui, jusqu’en mars 2021, il y aura certes une progression mais lente et « le point de vigilance, ce sera l’échéance d’un an pour le début de remboursement des PGE ».
  3. Une chose est sûre, un grand nombre d’entreprises devra envisager de prendre des mesures pour faire face à la détérioration de leur situation économique et financière et tenter de limiter les risques de défaillance auxquelles certaines seront exposées. Si l’on peut penser en premier lieu aux réductions d’effectif (plans de sauvegarde de l’emploi (« PSE »), ruptures conventionnelles collectives (« RCC »), plans de départs volontaires (« PDV »)), d’autres mesures alternatives aux suppressions de poste peuvent également être envisagées pour réduire les coûts et accroitre la productivité de l’entreprise. Il en est ainsi notamment de l’accord de performance collective (« APC ») qui permet à l’entreprise de prendre d’aménager les règles existantes en matière de temps de travail, de rémunération ou encore de mobilité. Les dispositions de l’accord s’imposent aux clauses contraires des contrats de travail des salariés et permettent, en cas de refus du salarié, de mettre en œuvre une procédure de licenciement en dehors du cadre contraignant et coûteux du licenciement économique.

Au-delà de l’APC, il est également possible de prévoir par accord d’entreprise de déroger dans un sens moins favorable, et pour une durée le cas échéant limitée, aux dispositions de la convention collective de branche en vigueur sauf dans certains domaines.

L’anticipation, la réactivité et l’innovation prendront donc tout leur sens au cours des prochains mois.

Si vous souhaitez maîtriser l’actualité 2020 et les nouvelles pratiques en matière de droit des procédures collectives, rendez-vous à Paris ou en distanciel le 13 octobre prochain : Droit des entreprises en difficulté face à la crise


Guillaume Bordier & Alix Combes
Avocats à la Cour
CAPSTAN AVOCATS

1- Le nombre de procédures collectives ouvertes au deuxième trimestre 2019 s’élevait à 11.055 alors qu’il était de 5.200 sur la même période en 2020 (données issues du site internet du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce)
2- Aux termes de l’article L.631-1 du Code de commerce l’état de cessation des paiements est défini comme « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible »
3- Peuvent notamment bénéficier du dispositif de PGE les sociétés, commerçants, artisans, exploitants agricoles, professions libérales, micro-entrepreneurs, associations et fondations ayant une activité économique y compris certaines sociétés civiles immobilières, les entreprises en difficulté depuis le 1er janvier 2020 et les « jeunes entreprises innovantes ».
4- Cf Article L5122-1 du Code du travail