Actualité de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation.

Le bail commercial fait partie du droit des affaires. C’est certes du droit mais aussi les affaires. La fin du bail devrait illustrer cette idée. Le bailleur a toujours le droit de refuser de renouveler le bail commercial, à charge pour lui, sous certaines conditions, de verser au locataire une indemnité d’éviction. La loi donne au locataire pouvant prétendre à une telle indemnité le droit de rester dans les lieux avant de l’avoir perçue, à charge pour ce dernier de payer une indemnité d’occupation. Ces principes sont trop connus pour qu’on y insiste outre mesure (V. A. Jacquin, les frais de réinstallation : un sujet toujours d’actualité, Gaz pal num spéc., 20 novembre 2018, p. 57. A. Colin, quelques réflexions contemporaines sur le refus de renouvellement et l’indemnité d’éviction, Loyers et copr. 2018, Etude 6. adde J-P Blatter, Traité des baux commerciaux, 6e éd., Le Moniteur 2018, 1227 ; A. Astegiano-La Rizza, P. Colomer, C. Denizot, M-P. Dumont-Lefrand, H. Kenfack, J-P Maublanc, F. Reille, A Reygrobellet et F. Schmidt, Droit et Pratique des baux commerciaux,  Dalloz Action 2018-2019, 5e éd., Dalloz, 2017). Mais l’actualité récente apporte de précieux enseignements.

1 – Le renforcement du principe de l’indemnité d’éviction

Trois arrêts récents méritent d’être relevé.

Le premier permet à la Cour de cassation de dire pour droit que la nullité du congé ne prive pas le preneur de son droit à indemnité d’éviction (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-18756).

Cette décision a été diversement appréciée. Contrairement à l’avis de son Avocat général, la Cour de cassation confirme que le preneur peut demander à la fois la nullité du congé comportant refus de renouvellement qui lui a été notifié et le paiement d’une indemnité d’éviction. Qu’il puisse le demander, pourquoi pas, mais l’obtenir devrait être autre chose.

Cet arrêt est a priori contraire à la logique juridique. Ce qui est nul ne peut produire aucun effet. Or, si le congé est nul, le bail commercial se poursuit. Il n’y pas donc pas d’éviction et il ne peut y avoir d’indemnité d’éviction. Mais la logique indemnitaire l’emporte à la Cour de cassation. Pour cette dernière, sauf exception (rare ?) l’indemnité est due et le preneur a une option exceptionnelle entre demander la nullité du congé et l’indemnité d’éviction.

Cette solution n’est pas entièrement nouvelle (V. déjà Civ. 3e, 19 février 2014, n° 11-28806) même si ce précédent avait été expliqué par le fait que le preneur n’était plus dans les lieux. Dans l’arrêt de 2018, la solution adoptée est générale. Comment s’explique cette solution ? C’est l’articulation entre les articles L. 145-9 du code de commerce relatif au congé et L. 145-14 du code de commerce relatif au droit du bailleur de refuser le renouvellement du bail en payant une indemnité d’éviction. La Cour de cassation opte pour la prévalence du second sur le premier, accordant ainsi faveur au preneur. Peu importe pour la pratique que ce soit justifié ou pas. Désormais, et c’est là le principal intérêt de l’arrêt, point n’est besoin pour les conseils des parties de naviguer à vue. Les règles relatives à l’indemnité d’éviction ont une priorité sur celles concernant le congé ou celles concernant l’accession et aucune clause contraire n’est permise.

Le deuxième décide que les frais de réinstallation sont dus, y compris en présence d’une clause d’accession (Cass. 3e civ., 13 septembre 2018, n° 16-26049). Ici aussi, c’est une question d’articulation entre les règles relatives à l’indemnité d’éviction et celles relatives au droit de propriété. Cet arrêt de principe décide « qu’une clause d’accession sans indemnité stipulée au profit du bailleur ne fait pas obstacle au droit du preneur évincé d’être indemnisé des frais de réinstallation dans un nouveau local bénéficiant d’aménagements et d’équipements similaires à celui qu’il a été contraint de quitter ».

Les frais de réinstallation sont parmi les éléments de l’indemnité d’éviction. Indemnités accessoires, ils sont éventuels d’après la lettre de l’article L. 145-14 du code de commerce. La jurisprudence les rend quasiment obligatoires. Un précédent arrêt fondateur a marqué un tournant en décidant que le preneur évincé peut désormais revendiquer des indemnités de réinstallation, même dans l’hypothèse de la perte de son fonds de commerce et alors qu’il est déjà indemnisé pour la perte de celui-ci (Cass. 3e civ. 21 mars 2007, n° 06-10780 ). Il y a comme une présomption de réinstallation, peu important ici la présence ou non d’une clause d’accession : le preneur évincé doit être indemnisé des frais de réinstallation dans un nouveau local bénéficiant d’aménagements et d’équipements similaires à ceux qu’il a été contraint de quitter.

Le troisième arrêt précise que cette présomption de réinstallation est simple. La Cour de cassation décide que « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice » (Cass. 3e civ. 28 mars 2019, n° 17-17501). Les bailleurs de l’espèce avaient constaté que postérieurement à la décision rendue, les preneurs ne s’étaient pas réinstallés six ans après la procédure d’éviction. Logiquement, ils avaient engagé une procédure en répétition de l’indu et obtiennent gain de cause, la Cour de cassation  décidant que le bailleur peut obtenir la répétition des indemnités de remploi, de trouble commercial et des frais de déménagement. Cette décision qui semble à contre courant de la jurisprudence récente sur l’indemnité d’éviction, est importante et ouvre de nouvelles perspectives. Est-ce à dire que l’indemnisation a un caractère provisoire et peut être remise en cause à défaut de réinstallation du locataire ? Comment articuler ce caractère provisoire avec le droit de repentir du bailleur ? Dans tous les cas, loin d’être éventuels, ces frais de réinstallation sont désormais dus, sauf preuve contraire de non réinstallation apportée par le bailleur.

2 – Le renforcement de l’obligation de payer l’indemnité d’occupation

Un arrêt récent décide que la prescription biennale de l’article L. 145-60 du code de commerce s’applique à l’action en fixation de l’indemnité statutaire d’occupation. Même lorsqu’elle est acquise, cette prescription ne prive pas le bailleur de toute prétention indemnitaire à l’égard du preneur resté dans les lieux loués (Cass. 3e civ. 14 mars 1919, n° 18-11991). En l’espèce, le bailleur avait agi plus de deux ans après la date d’effet du congé refusant le renouvellement. La Cour d’appel avait notamment décidé que la prescription de l’action en fixation du montant entraînait l’entière déchéance de la créance d’indemnité d’occupation du bailleur. Logiquement, la Cour de cassation censure cette décision. En effet, d’après l’article L. 145-28 du code de commerce, le maintien dans les lieux se fait « aux conditions et clauses  du bail expiré ». Le preneur est donc redevable au bailleur d’une indemnité égale au montant du dernier loyer versé avant selon les cas la date d’effet du congé ou du refus de renouvellement.

Il ressort clairement de cet article que le principe de la créance d’indemnité d’occupation est acquis ab initio. Seule la fixation du montant de l’indemnité statutaire d’occupation conformément à l’article L. 145-28 du code de commerce se trouve prescrite, non l’exigibilité du paiement de cette indemnité réputée fixée au moment du dernier loyer payé en l’absence de fixation en raison de la prescription. Ainsi, le résultat de la prescription est en l’espèce uniquement de priver le bailleur du droit d’obtenir un montant plus élevé que le dernier loyer perçu. L’arrêt est important par sa construction et son respect des dispositions textuelles.

En conclusion, l’indemnité d’éviction et son pendant l’indemnité d’occupation vont toujours demeurer d’actualité. Une inévitable casuistique règne sur cette matière. Elle ne devrait pas faire oublier que le bail commercial est un contrat économique : droit mais aussi affaires.

Pour en savoir plus, rendez-vous le 4 et 5 février 2020 pour notre 28ème panorama d’actualité sur les Baux Commerciaux

Hugues KENFACK

Professeur à l’université de Toulouse

Doyen honoraire Faculté de droit