Loi PACTE : maîtrisez le nouveau régime des actions de préférence et des actions gratuites

Elaboré en concertation avec différents acteurs économiques de la société civile et bénéficiant du régime de la procédure accélérée, le projet de loi s’inscrivant dans le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (dit « loi Pacte ») a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 9 octobre 2018. Ce texte a fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2019-781 DC du 16 mai 2019.

La loi Pacte dans sa version définitive, adoptée par l’Assemblée nationale, comporte plusieurs articles impactant directement le droit des sociétés et plus précisément le cadre juridique des levées de fonds : la modernisation envisagée du régime juridique des actions de préférence et la modification du calcul du plafond d’attributions gratuites d’actions.

Actions de préférence – Les actions de préférence sont des actions avec ou sans droit de vote, assorties de « droits particuliers de toute nature », à titre temporaire ou permanent, régies par les articles L.228-11 à L.228-19 du code de commerce.

Jusqu’à l’intervention de la loi Pacte et conformément aux dispositions de l’article L.228-11 alinéa 1 du Code de commerce, les droits attachés aux actions de préférence devaient respecter par renvoi, les règles posées aux articles L. 225-10 et L.225-122 à L.225-125 du Code de commerce. Au nombre de celles-ci figurent notamment le principe de proportionnalité du droit de vote à la quotité de capital représenté par les actions (article L. 225-122), la possibilité d’accorder un droit de vote double aux seules actions libérées et inscrites au nominatif depuis au moins deux ans (article L. 225-123) et la limitation du droit de vote, à condition que celle-ci soit imposée à toutes les catégories d’actions (article L. 225-125).

Ainsi, il était unanimement admis en doctrine que le renvoi à l’article L.225-122 du Code de commerce figurant dans le premier alinéa de l’article L.228-11 du Code de commerce restreignait la liberté d’aménagement statutaire en matière de droit de vote à trois cas précis : suppression pure et simple du droit de vote, suspension pendant une période définie et doublement du droit de vote. En définitive, seule la SAS, compte tenu de son régime propre de liberté d’organisation statutaire, pouvait prévoir des droits de vote dits « multiples », c’est-à-dire prévoyant d’autres hypothèses d’organisation que les trois cas visés ci-dessus (par exemple 10% des actions disposent de 30% des droits de vote).

L’article 100 de la loi Pacte a pour effet de supprimer dans l’article L.228-11 du Code de commerce le renvoi aux articles L.225-122 à L.225-125 du Code de commerce pour les sociétés non cotées. Ainsi les SA et SCA émettant des actions de préférence ainsi que les SAS utilisant ledit régime des actions de préférence (et non le régime propre des actions de SAS) pourraient désormais émettre des actions à droit de vote multiple.

Cet aménagement du régime des actions de préférence est appréciable mais il ne faut pas exagérer son impact sur les opérations de levées de fonds : la SAS est le véhicule qui est très majoritairement utilisé en pratique et le droit de vote multiple était déjà largement adopté. Par ailleurs, la gouvernance en matière de levée de fonds est souvent structurée au regard d’une liste de décisions sociales dites « importantes » qui font l’objet d’un droit de véto bénéficiant aux investisseurs et ce droit de véto peut être organisé en conservant des droits de vote simples.

Plus significativement, ce même article 100 de la loi Pacte a également pour objet de modifier la rédaction de l’article L. 228-12 du Code de commerce afin de favoriser le développement des actions de préférence « rachetables ».

Une distinction est désormais prévue entre les sociétés dont les actions sont admises à la négociation sur un marché règlementé et celles dont les actions ne sont pas admises sur un tel marché.

S’agissant des sociétés cotées, le rachat des actions de préférence pourra désormais intervenir « à l’initiative conjointe de la société et du détenteur de l’actions de préférence » et non plus seulement à l’initiative exclusive de la société comme le précise la version actuelle de l’article L. 228-12 du Code de commerce issue de l’Ordonnance n°2014-863 du 31 juillet 2014.

S’agissant des sociétés non cotées, les statuts devront déterminer, avant la souscription, si le rachat aura lieu à l’initiative exclusive de la société, à l’initiative conjointe de la société et du détenteur de l’action de préférence ou à l’initiative exclusive du détenteur, suivant les conditions et délais qu’ils préciseront.

Cette nouvelle rédaction de l’article L. 228-12 du Code de commerce est proposée pour constituer « un signal positif à l’endroit des investisseurs en capital-risque ».

Pour bien comprendre ce « signal positif », il faut rappeler que les actions de préférence pouvaient, dès l’origine, être stipulées « rachetables », c’est-à-dire qu’il pouvait être prévu, dès l’émission de ces actions de préférence, que celles-ci pourraient, à terme et, éventuellement, sous quelque conditions économiques prédéfinies entre la société et le souscripteur, faire l’objet d’une acquisition en numéraire par la société à un prix prévu dès l’origine avant, éventuellement, de faire l’objet d’une annulation dans le cadre d’une réduction de capital. En d’autres termes les actions de préférence pouvaient fonctionner quasiment comme des obligations, c’est-à-dire comme un investissement bénéficiant à la société émettrice pendant une période fixe et devant faire l’objet d’un « remboursement » (un rachat) obligatoire à terme. La novation était majeure par rapport au droit antérieur.

Cette innovation comportait évidemment des risques significatifs pour la société : celle-ci devant procéder à l’acquisition desdites actions pour un prix éventuellement élevé elle devait disposer des liquidités pour le faire sous peine de se trouver en situation de cessation des paiements. Elle comportait également un risque manifeste de rupture d’égalité entre actionnaires : l’actionnaire disposant d’actions de préférence rachetables se trouvait évidemment dans une situation plus confortable que les actionnaires détenteurs d’actions normales.

L’ordonnance du 31 juillet 2014 est donc venu « corriger » cette situation en introduisant la précision selon laquelle le rachat est « à l’initiative exclusive de la société » et en confirmant que l’opération de rachat ne peut pas porter atteinte à l’égalité entre actionnaires. L’initiative exclusive du rachat semble indiquer – et c’est la position retenue majoritairement par la doctrine – que la société ne peut pas se voir imposer ce rachat par le biais de l’application d’une clause statutaire convenue ab initio, mais doit manifester un accord exprès à la date de réalisation de l’opération. Cette précision enlevait évidemment tout intérêt à l’outil juridique dans le cadre d’une levée de fonds. S’il n’est pas garanti à terme et s’il est soumis au bon vouloir de la société, l’action de préférence rachetable n’est pas plus « rachetable » qu’une action ordinaire qui ferait l’objet d’une offre de rachat émise par la société.

L’article 100 de la loi Pacte, modifiant la rédaction de l’article L. 228-12 du Code de commerce, revient donc sur les termes de l’ordonnance du 31 juillet 2014 pour ouvrir à nouveau la possibilité d’émettre des actions véritablement rachetables, c’est-à-dire dont les conditions et notamment le prix sont fixées dès leur émission par la société et par l’investisseur.

Si on peut saluer l’audace de cette réforme, on doit néanmoins s’interroger sur sa portée, pour ce qui concerne les sociétés cotées, au vue de la rédaction actuelle de l’article L. 228-12 du Code de commerce. En effet, si on considère que la mention concernant « l’initiative » du rachat issue de l’ordonnance de 2014 signifie que la société doit manifester son accord à la date de l’opération de rachat (et non uniquement ab initio), l’emploi du même mot « d’initiative » pour l’appliquer à une initiative commune de la société et du détenteur des actions de préférence, signifierait que l’on ne peut toujours pas prévoir un rachat automatique à des conditions fixées ab initio et qu’il faut que les parties (la société et l’investisseur) réitèrent leur accord à la date de l’opération. Une telle interprétation viderait évidement de sens cette réforme, pour ce qui concerne les sociétés cotées.

En revanche, pour les sociétés non cotées, aucune interrogation ne subsiste et les juristes trouveront donc, avec ces nouvelles actions de préférence rachetables, un outil très utile pour structurer, par exemple, une clause de good et bad leaver avec rachat par la société ou une clause de sortie forcée pour un fonds d’investissement.

Actions Gratuites – Il ressort des dispositions de l’article L. 225-197-1, alinéa 2 du Code de commerce que les attributions gratuites d’actions effectuées par les sociétés par actions (sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions et sociétés par actions simplifiées) au profit de leurs salariés et dirigeants ne peuvent excéder 10% du capital social de la société émettrice à la date de la décision de leur attribution (ou 15% pour certaines PME européennes non cotées et attribuant ces actions gratuites à certaines catégories de leur personnel salarié).

La mise en œuvre de ce plafond était jusqu’à présent source de difficulté d’ordre pratique dès lors que plusieurs plans d’attributions gratuites d’actions étaient mis en œuvre. Dans une telle situation, devait-on retenir dans le calcul de la quote-part des actions gratuites celles qui étaient autorisées par la collectivité des associés mais non encore attribuées nominativement à des salariés ou mandataires sociaux (par suite du non emploi par exemple d’une délégation faite par l’AG au conseil d’administration ou au directoire) ? Par ailleurs, il était admis que les actions définitivement attribuées et hors période de conservation, c’est-à-dire des actions devenues « normales » restaient intégrées dans le plafond de 10% ou de 15% susvisé. Cette dernière interprétation limitait très significativement l’utilisation des actions gratuites.

L’article 163 de la loi Pacte vise à clarifier cette situation et à changer le principe de calcul du plafond figurant dans l’article L. 225-197-1, alinéa 2 du Code de commerce. Il exclut expressément pour le calcul du plafond de 10% (ou de 15%) « les actions qui n’ont pas été définitivement attribuées au terme de la période d’acquisition » (donc qui ont fait l’objet d’une autorisation de principe de l’AG mais pas encore d’une attribution effective) ainsi que « les actions qui ne sont plus soumises à l’obligation de conservation » (actions anciennement gratuites mais qui sont devenues des actions normales par suite de la survenance du terme de la période de conservation).

Cette modification du régime des actions gratuites constitue une réforme très importante pour les opérations de levées de fonds tant l’utilisation des actions gratuites est désormais systématique à chaque tour de levée de fonds. Habituellement, les investisseurs acceptent d’approuver, par avance, l’émission d’un volume d’actions gratuites en faveur du management compris entre 5 et 10% du capital et la multiplication des tours de financement obligeait souvent les dirigeants sociaux à se tourner vers d’autres outils pour éviter la limite de 10% (BSPCE notamment).

Afin de traiter toutes ces questions et d’analyser les conséquences concrètes de la loi PACTE en droit des sociétés, nous vous donnons rendez-vous le 2 juillet prochain lors de notre conférence « Loi PACTE » à Paris.


Charles-Emmanuel Prieur

Avocat Associé
UGGC AVOCATS

Maître Charles-Emmanuel Prieur interviendra le 2 juillet prochain lors de notre conférence « Loi PACTE : maîtrisez la réforme du droit des sociétés« .

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