Le projet de loi PACTE et la volonté de moderniser l’entreprise

Promouvoir la croissance des TPE et PME en adaptant l’environnement juridique de leur développement, tel est l’objectif affiché du projet de loi PACTE. L’objectif serait même mesurable car ses dispositions seraient « susceptibles d’entraîner une hausse du PIB de près de 1 point à long terme », d’après les premières études macroéconomiques .
Présenté en Conseil des ministres en date du 18 juin 2018, et entré en discussion le 5 Septembre à la Commission spéciale de l’Assemblée nationale, le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises comporte des mesures touchant à de nombreux aspects du cadre juridique des entreprises, au point que certains le désigne comme une loi « fourre-tout » : sont envisagées des mesures tenant aussi bien à la création, à la croissance et au financement de l’entreprise, mais également des réformes portant sur les procédures de restructuration et la participation des salariés aux résultats des entreprises. Plusieurs volets entamés par la réforme comprennent, en outre, des règles de transposition de directives européennes et notamment la Directive du 17 mai 2017 relative à l’engagement long terme des actionnaires.

Largement inspiré des recommandations issues du Rapport SENARD-NOTAT , la loi PACTE vise, d’une part, à moderniser l’environnement juridique de l’entreprise en allégeant et en simplifiant les contraintes règlementaires et administratives pour prendre en compte sa dimension, mais également en adaptant le cadre de son accès au financement, en vue de promouvoir l’investissement, l’entrée sur les marchés financiers et le recours à des nouveaux instruments financiers, les ICO, actuellement « inconnus » de notre droit.
Le Gouvernement se donne également pour objectif de promouvoir la transparence, la RSE et une approche long-terme de l’investissement de l’actionnaire. Des mesures de publicité pour les conventions règlementées sont notamment prévues, ainsi que des dispositions visant à mieux tenir compte de la place du salarié dans la création de valeur.
Enfin, le projet PACTE entend modifier l’article 1833 du Code civil, en consacrant la notion d’intérêt social et en intégrant la considération des enjeux sociaux et environnementaux dans les décisions de l’entreprise. Il consacre en outre la possibilité pour les sociétés d’inscrire leur « raison d’être », notion nouvelle, dans les statuts. Critiquées par certains pour leur absence de portée, ces dispositions sont d’autant plus incertaines dans leur portée qu’elles ne précisent pas les conséquences concrètes que pourrait avoir leur méconnaissance.
La loi PACTE constitue au final un ensemble assez hétéroclite de nombreuses dispositions destinées à moderniser l’environnement de l’entreprise sous divers aspects, ainsi qu’à prendre en considération les intérêts collectifs gravitant autour de l’entreprise, cette dernière se voyant assignée de nouveaux objectifs sociaux et environnementaux au-delà de la seule recherche de profits.

I. MODERNISATION DE L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DE L’ENTREPRISE

La modernisation de l’environnement de l’entreprise prend la forme de mesures destinées à alléger et à rationaliser son cadre règlementaire, ses modalités d’accès au financement qui sont améliorées et rendues plus attractives. Des mesures sont également prévues en faveur de la sécurité des investisseurs.

A. ALLEGEMENT DU CADRE REGLEMENTAIRE

• Réduction du champ d’intervention du CAC
Le projet de loi PACTE consacre un certain nombre de dispositions visant à adapter, d’une part, le poids des contraintes règlementaires à la taille de l’entreprise et, d’autre part, de simplifier, en s’appuyant sur les nouveaux moyens de technologies numériques, les démarches administratives.
Ainsi, à l’heure actuelle, les sociétés par actions sont toutes tenues de désigner un Commissaire aux comptes, à la différence des autres sociétés commerciales. Pourtant, le montant des honoraires est proportionnellement beaucoup plus élevé par rapport au chiffre d’affaires des « petites entreprises ».
Afin de prendre en compte la taille de l’entreprise, l’article 9 de la loi PACTE propose de relever les seuils de certification légale des comptes afin de soustraire à cette obligation les petites entreprises au sens des articles 2 et 3 de la Directive relative 2013/34 UE .
Enfin, pour éviter les dérives que pourrait provoquer ce changement au sein des groupes, la loi PACTE prévoit que les nouveaux seuils de certification seraient calculés au niveau du groupe dans son entier, et non pas au niveau des filiales.
Si cette réforme devrait faire réaliser des économies d’environ 600 M€ d’après l’étude d’impact réalisée, des pertes, estimées, selon l’étude d’impact du projet, à environ 25% du chiffre d’affaires, sont également à prévoir pour le secteur du commissariat aux comptes.
Rationalisation et simplification des démarches et formalités des entreprises
A l’heure actuelle, il existe sept réseaux de Centres de Formalité des Entreprises, que la réforme proposée, prise en son article 1er, vise à faire substituer par un guichet électronique unique, collectant l’ensemble des informations et des pièces nécessaires à la confection du dossier de formalités.
Cette disposition permettrait donc de proposer aux entreprises une interface directe entre les organismes destinataires et les entreprises, abstraction faite de tout critère lié à l’activité, au lieu d’implantation ou à leur forme juridique. Outre les avantages évidents en terme de simplification des démarches, cette dématérialisation permettra de faire l’économie d’environ 3M€ pour les entreprises, d’après l’étude d’impact.
L’article 2 du projet prévoit, dans le même sens, d’habiliter le gouvernement à créer un registre dématérialisé des entreprises en vue de centraliser et de diffuser les informations, ainsi qu’à simplifier les obligations déclaratives des entreprises et les modalités de contrôle des déclarations. Ici aussi, les mesures devraient permettre un meilleur accès aux informations des entreprises tout en allégeant et en réduisant les coûts des formalités pour ces dernières lors de leur création.

B. UN ACCES AU FINANCEMENT QUI SE VEUT PLUS ATTRACTIF ET ADAPTE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES DE FINANCEMENT
Plusieurs mesures sont prévues afin de moderniser le cadre juridique de l’accès au financement et de l’adapter à l’émergence de nouveaux instruments financiers dont la qualification reste encore incertaine.
Ainsi, l’article 28 de la loi PACTE propose d’assouplir le régime des actions de préférence pour les SA et les SCA, qui impose actuellement de respecter un cadre précis et, en particulier, le principe de proportionnalité, la condition de libération intégrale des actions et le principe d’égalité dans la limitation du nombre de voix.
Les dispositions projetées visent à favoriser les recours aux actions de préférence et notamment de créer un environnement juridique plus attractif pour les investisseurs, en autorisant notamment, d’une part, la création d’actions de préférence à droit de vote multiple, tout en abandonnant la condition de libération intégrale concernant la création de droit de vote double.
De plus, la loi PACTE propose de consacrer un cadre juridique pour les Initial Coin Offerings, c’est-à-dire des levées de fonds basés sur l’émission de jetons échangeables en crypto monnaie, ou tokens, lesquels confèrent des droits de préacheter le produit fini et permettent de spéculer sur la valeur créée grâce à la monétisation du jeton émis.
Cette nouvelle modalité originale de financement, le plus souvent assise sur des technologies blockchain, a connu un essor appréciable depuis 2017, soulevant la question de son régime juridique, tant au regard de sa qualification que des enjeux internationaux qui la sous-tend. Ces questions, qui ont fait l’objet d’une consultation par l’AMF en date du 22 décembre 2017, ont été prises en compte par le Gouvernement, qui propose aujourd’hui de créer un régime français des offres de jetons dans l’attente des règlementations européennes et internationales.

L’approche retenue à l’article 26 du projet est, pour l’heure, volontariste : le dispositif rend l’AMF compétente pour délivrer un visa optionnel aux personnes morales établies en France, avant une offre au public de jetons qui ne serait pas soumise à la réglementation financière existante.
Enfin, la loi PACTE, prise en son article 22, se propose de promouvoir, de simplifier et de faciliter l’accès aux marchés financiers en assouplissant et en clarifiant les règles applicables. L’entrée en bourse, couteuse et en recul depuis dix ans, serait ainsi facilitée, d’une part, par le rehaussement du seuil obligatoire d’établissement du prospectus, aujourd’hui de 5 millions d’euros, à 8 millions d’euros, ce qui constitue le seuil maximal permis par le règlement 2017/1129 du 14 juin 2017 (Prospectus 3).
En outre, le même article prévoit d’abaisser le seuil de retrait obligatoire, c’est-à-dire le seuil à partir duquel l’actionnaire majoritaire d’une société peut forcer l’acquisition des titres des actionnaires minoritaires. Le seuil, de 5% aujourd’hui, pourrait ainsi être ramené à 10%, facilitant ainsi les sorties de cote, seuil plus rassurant pour les émetteurs et, partant, susceptible de favoriser les nouvelles entrées.

C. UNE VOLONTE DE SIMPLIFIER LA TRANSMISSION D’ENTREPRISE ET D’ACCROITRE LA SECURITE JURIDIQUE DE L’INVESTISSEUR
Douze ans après la réforme des sûretés opérée par l’Ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006, le Gouvernement propose de rénover et de compléter le dispositif actuel, dont les insuffisances ont été révélées par la pratique. Ainsi l’article 16 propose-t-il d’habiliter le Gouvernement afin de simplifier et de clarifier le droit français des sûretés afin d’accroître la sécurité juridique, renforcer l’efficacité de certaines suretés et, notamment, le cautionnement, et partant, faciliter l’octroi de financement aux entreprises.
L’article 64 du projet de loi PACTE vise, pour sa part, à moderniser le droit des procédures collectives en favorisant l’approche préventive des difficultés des entreprises. Le dispositif prévoit d’habiliter le Gouvernement à prendre les mesures législatives nécessaires au lendemain de l’adoption de la directive, actuellement en cours de négociations portant sur la proposition « relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement » .
Les objectifs portent, essentiellement, sur l’adoption d’une démarche harmonisée favorable au sauvetage, en généralisant l’institution des procédures préventives, afin de favoriser le développement des investissements transfrontaliers et d’accroître l’efficacité de ces procédures.

II. LES INTERETS COLLECTIFS VISES PAR LA REFORME

La loi PACTE a été précédée d’un rapport commandé par le Gouvernement. Ce rapport NOTAT-SENARD, intitulé l’Entreprise, objet d’intérêts collectifs préconise de nombreuses mesures dont certaines ont été reprises par la loi PACTE. Le Gouvernement a introduit également de nouvelles dispositions innovantes. La loi PACTE vise ainsi à promouvoir la transparence et l’engagement à long terme des actionnaires et à améliorer les conditions de l’actionnariat salarié. Une notion nouvelle, celle de la « raison d’être » de l’entreprise, introduite par le Rapport NOTAT-SENARD est sans doute la mesure la plus emblématique de la loi.

A. LA PROMOTION DE LA TRANSPARENCE ET DE L’ENGAGEMENT LONG TERME DES ACTIONNAIRES

Le projet de loi PACTE permet, tout d’abord, d’assouplir et de réformer les conditions de création d’une action spécifique, ou golden share, sur la base de l’article 31-1 de l’ordonnance n°20146948. Ainsi, l’article 56 propose d’étendre la possibilité de créer une golden share sans que l’Etat n’ait nécessairement, comme cela est le cas aujourd’hui, à céder une participation, tout en rappelant que ce mécanisme doit être proportionné à l’objectif poursuivi, conformément à la jurisprudence européenne.
La notion de cession y est précisée, et couvrirait désormais toutes les opérations affectant les actifs stratégiques protégés par l’action spécifique, aussi bien matériels qu’immatériels.
L’article 66, ensuite, a pour objet de transposer la Directive 2017/828 du 17 mai 2017 relatif à l’engagement long terme des actionnaires. Sont ici consacrées une série de dispositions qui prévoient, notamment, une obligation de publicité des conventions soumises à autorisation du conseil d’administration ou du directoire, ainsi que des mesures de transparence s’imposant aux investisseurs institutionnels et aux gestionnaires d’actifs relativement à leurs stratégies et à leurs relations.
En outre, le même article autorise le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures nécessaires pour « créer un dispositif unifié et contraignant encadrant la rémunération des dirigeants des sociétés cotées ».

B. DES NOUVEAUX DISPOSITIFS POUR L’ACTIONNARIAT ET L’EPARGNE SALARIALE
Plusieurs dispositions de la loi PACTE visent les salariés avec pour objectifs d’augmenter leur représentation au sein des grandes sociétés, de renforcer la transparence quand aux avoirs détenus sur les plans d’épargne salariale ainsi que leur disponibilité, d’élargir le champ des instruments éligibles au PEA-PME, et d’encourager la diffusion des dispositifs d’épargne salariale.
L’article 62 prévoit ainsi l’obligation de désigner deux administrateurs salariés au sein du conseil dès la présence de huit administrateurs non-salariés, et rend cette désignation obligatoire dans les mutuelles, avec voix délibérative. Actuellement, la loi ne prévoit la présence de deux administrateurs salariés qu’au-delà du seuil de douze administrateurs non-salariés.
L’article 27 relatif à l’élargissement des instruments éligibles au PEA-PME prévoit, pour sa part, d’élargir le périmètre des instruments éligibles, afin d’encourager le financement, et notamment le financement participatif.
Ensuite, l’article 57 de la loi PACTE propose de supprimer le forfait social pour toutes les entreprises de moins de 50 salariés, ainsi que pour les entreprises de moins de 250 salariés qui disposent d’un accord d’intéressement. Cette mesure devrait ainsi concourir à la diffusion de ces dispositifs dans les petites entreprises, en réduisant leur coût.
Enfin, le projet prévoit, en son article 58, de lever la condition de disposer d’un PEE pour mettre en place un PERCO, et d’harmoniser les relevés annuels de situation des épargnants établis par les sociétés de gestion, afin d’aboutir à une meilleure information des salariés, dont les avoirs détenus sur les PES sont souvent opaques.

C. ENJEUX SOCIAUX, ENVIRONNEMENTAUX ET LA RAISON D’ETRE DES SOCIETES : QUELLE APPLICATION POUR L’ARTICLE 61 DE LA LOI PACTE ?
Enfin, en réponse aux nombreux défis soulevés par les crises économiques et financières, l’accélération de la mondialisation et les inquiétudes environnementales, l’encadrement de l’activité des sociétés a fait l’objet, ces dernières années, de nombreuses normes sociales et environnementales tendant à promouvoir la RSE et la gouvernance.
Dans ce contexte, le projet de loi PACTE a fait le choix, dont l’opportunité se discute, d’intégrer à l’article 1833 du Code civil, relatif à l’intérêt social de la société, la prise en compte des « enjeux sociaux et environnementaux » de son activité. L’article 61 du projet prévoit en outre la possibilité pour les sociétés de se doter statutairement d’une « raison d’être », mesure qui avait été proposée par la Recommandation n°11 du Rapport Senard-Notat.
Si la consécration de l’intérêt social à l’article 1833 du Code civil ne présente aucun réel intérêt, dans la mesure où cette notion est déjà appliquée par la jurisprudence, celle de la nécessité de prendre « en considération des enjeux sociaux et environnementaux » pourrait avoir une portée juridique nouvelle. Bien qu’il ne s’agisse que d’un principe devant, a priori, guider la gestion de la société, ce nouveau dispositif pourrait être l’occasion de sanctionner, si ce n’est les décisions prises par l’organe délibérant de la société, du moins les décisions de gestion, lorsque celles-ci portent une atteinte manifeste à l’environnement ou aux intérêts sociaux.
De même, si l’article 61 prévoit que les sociétés peuvent inscrire leur « raison d’être » dans leurs statuts, rien n’est précisé quant à la substance de cette notion : une nullité (décision d’assemblée générale abusive, décision de gestion) ou une responsabilité pourrait-elle être encourue sur le fondement d’une méconnaissance de la raison d’être ? Qui aurait qualité pour agir ? En effet, si la société se donne comme raison d’être, par exemple, de conduire son activité dans une démarche éco responsable, les bénéficiaires de cette disposition statutaires ne seraient-ils pas, en réalité, les tiers, c’est-à-dire notamment les associations de défense de l’environnement et les ONG ? Pourraient-elles alors agir en responsabilité contre une société sur le fondement de sa raison d’être statutaire ? Rien n’est moins sûr, car les intentions du Gouvernement semblent avoir plutôt été de limiter les revendications des parties prenantes, en évitant d’ailleurs de faire figurer le terme d’entreprise dans le texte proposé.
Pour l’heure, ce qui est certain, c’est que seuls les associés ou les créanciers peuvent engager la responsabilité des dirigeants à raison des fautes commises par ce dernier, et les cas de nullité d’une assemblée générale ne peuvent être invoqués que par les associés. La portée réelle de l’article 61 reste donc très incertaine.

CONCLUSION
Au total, le projet de loi PACTE n’est pas sans ambition : promotion de la croissance, des investissements, modernisation et lisibilité du droit, RSE, gouvernance, salariés : toutes les disciplines du droit sont touchées.
Toutefois, si certaines mesures sont bienvenues, en ce qu’elles apportent des bénéfices qui peuvent être aisément mesurés, et notamment, l’allègement et la modernisation des démarches pesant sur les entreprises, et la souplesse apportée aux actions de préférence afin rendre le droit français plus attractif, l’opportunité de certaines dispositions se discute, et, en particulier, l’introduction de la « raison d’être » et des « considérations sociales et environnementales » à l’article 61.
De telles mesures de promotion de la bonne gouvernance des entreprises sont, comme cela est le plus souvent le cas dans ce domaine , dénuées d’une portée et d’une substance claires, de sorte qu’en pratique, il est encore très difficile de mesurer l’accueil qui leur sera réservé par la jurisprudence.

Afin d’envisager toutes ces questions et bien d’autres encore sur les conséquences de la prochaine loi PACTE dans votre activité, nous vous proposons de nous retrouver lors de la conférence « Loi PACTE : tenez-vous prêts ! » le 6 décembre prochain à Paris. Cette conférence sera animée par d’éminents professeurs, avocats, experts-comptables qui maîtrisent parfaitement cette réforme et son impact à venir.

Maître

 

 

 

Charley Hannoun
Avocat à la Cour
Professeur de droit
UNIVERSITE CERGY-PONTOISE

Maître Charley Hannoun interviendra lors de la conférence « Loi PACTE : tenez-vous prêts ! » qui aura lieu le 6 décembre prochain dans un grand hôtel au cœur de Paris.

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