Actualités procédure collectives : Les poursuites individuelles des créanciers sont interdites, même en cas de fraude du débiteur

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Dans un récent arrêt en date du 6 juin 2018 (Cass. com. 6 juin 2018 n° 16-23.996 F-PB) la chambre commerciale de la cour de cassation apporte des précisions inédites en matière de procédure collective en jugeant que les poursuites individuelles des créanciers en paiement sont interdites en cas de procédure collective, même dans l’hypothèse où le débiteur n’aurait pas, même sciemment, informé ses créanciers de l’existence de l’ouverture de ladite procédure.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, des particuliers avaient demandé en référé la désignation d’un expert concernant un litige portant sur des malfaçons dans le remplacement de fenêtres de leur domicile par une société.

Deux semaines plus tard, la société était mise en redressement judiciaire. Avant qu’un plan de redressement soit arrêté au profit de la société, les particuliers qui n’avaient pas déclaré leur créance dans le cadre de la procédure collective, ont poursuivi la société en lui réclamant des dommages-intérêts pour les malfaçons.

Pour rappel, le jugement qui ouvre la procédure collective interdit aux créanciers d’agir individuellement contre le débiteur pour obtenir le paiement d’une créance née avant le jugement d’ouverture ainsi que toute mesure d’exécution (saisie) sur ses biens (L 622-21 Code de commerce). Cette créance doit être déclarée entre les mains du mandataire judiciaire ou du liquidateur judiciaire (article L 622-24 et L 641-3 du Code de commerce).

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la Cour d’appel de Douai avait curieusement donné droit à la demande des requérants en se fondant en premier lieu, sur le fait que la société débitrice n’avait pas, durant les opérations d’expertise et devant les juges de première instance, précisé à l’autre partie l’existence de la procédure collective dont elle faisait l’objet et en second lieu, sur le fait que la société avait également omis de mentionner la créance des requérants dans la liste des créances destinées au mandataire judiciaire.

Compte tenu de ces circonstances, susceptibles de caractériser un comportement frauduleux, la Cour d’appel a conclu qu’il ne pouvait pas être reproché aux requérants d’avoir obtenu la condamnation de la société au terme d’une procédure menée en l’absence des organes de la procédure collective et pour une créance non déclarée.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation censure, assez logiquement, ce raisonnement au motif que même à la supposer établie, la prétendue faute ou fraude commise par la société débitrice n’était pas de nature à faire échec à la règle interdisant aux créanciers de poursuivre individuellement le débiteur et leur impose de déclarer leur créance dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective de l’entreprise.

La Cour de cassation juge donc qu’il ne peut pas être dérogé à ces principes au profit d’un créancier que le débiteur ait ou non sciemment omis d’avertir de l’ouverture de la procédure collective.

La solution retenue par la Haute Juridiction n’appelle pas de commentaire particulier de notre part. En effet, le jugement d’ouverture fait l’objet d’une mesure de publicité dans le Bulletin officiel d’annonces civiles et commercial (Bodacc article R 621-8 du Code de commerce), qui rend l’existence de la procédure collective opposable à tous.

De plus, si l’action en désignation d’un expert engagée devant le juge des référés ne tombe pas sous le coup de l’interdiction ou de l’interruption des poursuites individuelles (Cass. com. 2 décembre 2014 n° 13-24.405 F-PB :), en revanche, la créance résultant de l’exécution incomplète ou défectueuse de travaux réalisés par le débiteur avant le jugement d’ouverture doit être déclarée (Cass. com. 27 septembre 2017 n° 16-14.634 F-D) et le créancier ne peut plus agir en paiement après l’ouverture de la procédure collective (Cass. com. 26-10-1999 n° 97-11.734 D).

Si la solution retenue peut sembler sévère à l’égard des requérants particuliers, qui peuvent ne pas avoir le réflexe de vérifier, par la consultation du Bodacc en ligne, la situation de l’entreprise à laquelle ils ont recouru, celle-ci est tout à fait logique, dans la mesure où refuser de tenir compte de cette opposabilité pour écarter la règle de l’interdiction des poursuites individuelles viendrait paralyser les effets attachés au jugement d’ouverture de la procédure qui se justifient par la recherche d’une solution de redressement dans le respect du principe de l’égalité des créanciers.

Cet article a été rédigé par les soins de :


Jean-Christophe Bouchard
Avocat associé
NMW DELORMEAU

 

Et

Rémi Castebert
Avocat
Département Fiscal/Restructuration et procédures collectives
NMW DELORMEAU

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