Quels sont les impacts de la proposition de directive sur les procédures d’insolvabilité ?

La proposition de directive du 22 novembre 2016 de la Commission Européenne sur les procédures d’insolvabilité et de restructuration est de nature à modifier sensiblement les procédures actuelles de prévention et de sauvegarde.

Si les travaux de la Commission pour dégager un cadre commun des principes de la restructuration préventive emprunte énormément au droit français, certains aspects du « Scheme of Arrangement » anglais et du « Chapter 11 » américain participent également aux orientations européennes.

Six préoccupations, parfois difficilement compatibles, animent la vision de la Commission :

1 – La protection du débiteur

A travers une procédure préventive avant cessation des paiements de type conciliation, un gel total ou sélectif du passif de 4 mois (pouvant être étendu à 12 mois) permettrait au débiteur de proposer un plan de restructuration. Il s’agirait d’un panachage de notre conciliation, du référé délai, de la sauvegarde accélérée et de la sauvegarde. Le sujet de la confidentialité n’est pas à ce stade clarifié.

2 – Le maintien du dirigeant dans ses fonctions

L’éventuelle assistance du mandataire et son rôle ne devraient pas modifier le pouvoir des organes sociaux et ce malgré le gel du passif sans un état de cessation des paiements.

3 – Donner du pouvoir aux créanciers

Afin de protéger les investisseurs et les inciter à octroyer des crédits, la New Money serait sécurisée et le vote du plan de restructuration serait organisé par classes de créanciers en fonction des sûretés et de leurs intérêts, ainsi que des subordinations. Des créanciers pourraient même solliciter l’ouverture d’une procédure de prévention avec néanmoins l’accord du débiteur.

4 – Réduire la durée des procédures

La procédure de prévention ne devrait pas excéder quelques mois, à comparer avec une durée moyenne de 1 à 3 ans des procédures d’insolvabilité en Europe.

5 – Pouvoirs du Tribunal

Outre la nouveauté d’un gel du passif, l’innovation majeure dans notre droit positif serait de permettre au Tribunal, en l’absence de majorité dans certaines classes de créanciers, d’imposer un plan dépassant un simple étalement de remboursement, pour éviter le blocage de minoritaires ou de subordonnés, voire d’actionnaires, tout en préservant les intérêts légitimes des créanciers. La référence à leur situation en cas de liquidation judiciaire serait un critère de décision.

Cette proposition reste à être débattue entre les différents Etats pour aboutir à un texte final qui devrait, suite à son adoption, laisser 2 ans aux Etats pour harmoniser leur propre législation. Certains verraient dans ce texte une illustration de la tendance actuelle du « Et en même temps » dans la mesure où il tente de satisfaire des préoccupations parfois difficilement conciliables, particulièrement dans la balance protection du débiteur / pouvoir des créanciers. Il est vrai que la philosophie qui anime le droit de l’insolvabilité et de la prévention des Etats membres est parfois radicalement opposée. La transposition en droit interne français posera la question du nombre d’outils à disposition et de l’éventuel maintien, notamment de la Sauvegarde Accélérée, voire même de la Sauvegarde. Néanmoins, elle ne devrait pas trop modifier les usages de la place française, certaines dispositions étant en fait déjà des pratiques de marché.

Retour d’expériences sur la procédure de Sauvegarde

Quel dirigeant n’a-t-il pas rêvé d’étaler sur une dizaine d’années l’ensemble de ses dettes après une franchise de plusieurs mois ? C’est la possibilité offerte par la procédure de Sauvegarde ! Si l’accès à celle-ci ne nécessite pas un état de cessation des paiements, il convient néanmoins de justifier de difficultés insurmontables. Attirante sur le papier, elle ne séduit qu’à peine 1000 entreprises par an, soit 10 fois moins que celles sollicitant un redressement judiciaire, procédure voisine.

Il est vrai que les praticiens ayant déjà du mal à convaincre leurs clients incapables d’honorer les salaires à « déposer le bilan », il leur est souvent difficile de convaincre leurs clients d’anticiper les difficultés. Si les Magistrats sont assez ouverts sur la notion de difficulté insurmontable, ils se montrent de plus en plus vigilants pour éviter un détournement de la finalité de cette procédure, voire quelquefois de fraude à la loi.

Il est vrai que pour beaucoup de créanciers, notamment étrangers, avoir la faculté de geler son passif, de bloquer l’existence de sûretés, sans état de cessation de paiement et en n’étant que « surveillé » par un Administrateur apparaît quelque peu hors normes. La jurisprudence a mis de sérieux coups de frein, notamment aux dossiers qui, sous prétexte de Centres d’Intérêts discutables ont tenté d’utiliser, particulièrement pour des sociétés étrangères, les avantages de cette procédure. En outre, la loi permet désormais aux Magistrats de proposer au débiteur de « réorienter » le dossier vers une procédure de Conciliation plutôt que vers une Sauvegarde.

La population des débiteurs recourant à la Sauvegarde se compose de PME ayant des conseils arrivant à vanter les mérites de l’anticipation, d’entreprises à la veille d’un état de cessation des paiements qui, pour des raisons de communication et de gestion commerciale préfèrent la sémantique de la Sauvegarde à celle du Redressement Judiciaire, et des groupes de sociétés ou le gel des dettes et de l’exercice des sûretés conduit à anticiper la rupture de Covenants et le risque d’appréhension des titres de toute ou partie du groupe par l’exercice de nantissements.

Les Sauvegardes particulières dites accélérées ou financières accélérées sont en fait le simple prolongement de conciliation qui ont échoué à recueillir l’unanimité des participants sur le plan et qui nécessite une intervention judiciaire pour imposer un plan voté par une majorité. La gestion de la période d’observation durant laquelle le débiteur élabore son plan est peu contraignante pour ses dirigeants. Néanmoins n’oublions pas que l’effet réel d’une Sauvegarde sur les partenaires de l’entreprise demeure le même qu’en Redressement Judiciaire notamment en termes de besoins en fonds de roulement.

Quant au plan de remboursement, beaucoup de tribunaux incitent les débiteurs à ne pas utiliser la latitude des 10 ans de remboursement et à présenter des plans plus courts. Le succès limité de cette procédure ne tient pas seulement à la difficulté d’anticiper des dirigeants, mais aussi au fait que grâce aux procédures préventives et à la menace de la Sauvegarde, des accords sont trouvés en amont par les praticiens qui permettent d’avoir de manière confidentielle des avantages comparables. Naturellement les inconvénients de cette procédure pour les investisseurs et les créanciers ont conduit ces derniers à renforcer tous les mécanismes dérogatoires à la Procédure Collective (clause de réserve de propriété, loi Gayssot, Dailly, factoring, sous-traitance…), mais également à utiliser de nouveaux outils tels que les doubles holdings luxembourgeoises et la fiducie.

Il est possible que la Sauvegarde évolue encore, notamment dans le cadre de la proposition de directive de la Commission Européenne avec une procédure hybride entre la conciliation et la Sauvegarde.

Pour aller plus loin, participez au 23e Panorama annuel du droit des entreprises en difficulté 

Marc Santoni
Avocat Associé
SANTONI & ASSOCIES
Intervenant lors de la conférence EFE « 23ème Panorama annuel du droit des entreprises en difficulté » qui aura lieu le mardi 17 octobre 2017 à Paris.

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