Les entreprises à l’épreuve de deux réformes majeures pouvant être contradictoires : droit des contrats et pratiques restrictives

Le quotidien des juristes d’entreprise et de leurs conseils n’est jamais un long fleuve tranquille. En matière contractuelle, ils sont actuellement contraints d’appliquer simultanément deux réformes d’envergure : la réforme bien connue du droit des contrats applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 avec en outre des nuances s’agissant des contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018 et depuis le 1er octobre 2018, et la réforme EGalim résultant de l’ordonnance du 24 avril 2019 entrée en vigueur le 26 avril 2019. Un vrai casse-tête compte tenu de l’application rétroactive par la jurisprudence de certaines dispositions de la réforme du droit des contrats et ce d’autant plus que ces deux réformes ont en commun de résulter d’ordonnances avec pas ou peu de travaux préparatoires et laissent beaucoup de marge d’interprétation au juge chargé de les mettre en œuvre. En outre, elles ont également en commun un même souci de protéger la partie faible avec un risque de contestation des clauses contractuelles imaginées par la partie forte au contrat ou de ses comportements. La combinaison de ces deux réformes d’envergure impose de négocier ses contrats autrement (1) ainsi que de les appliquer (2) et d’y mettre fin (3) différemment.

  1. Négocier ses contrats autrement

Outre l’exigence de bonne foi et le devoir d’information précontractuelle renforcés par la réforme du droit des contrats, il convient d’être extrêmement vigilant et à ne pas chercher à se donner dans le contrat des avantages inutiles. Ces deux réformes ont en effet en commun un contrôle renforcé des clauses déséquilibrées. Dans les contrats d’adhésion, le nouveau droit civil répute non écrites les clauses abusives, le non écrit étant en principe imprescriptible. En droit commercial, la réforme EGalim généralise au-delà des partenaires commerciaux à l’autre partie la responsabilité ou la nullité en cas d’obtention d’un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné ainsi que la soumission à des obligations déséquilibrées. Il ne sert donc à rien de s’octroyer des avantages non justifiés : ils pourront facilement être remis en cause, le droit commun et le droit commercial spécial pouvant en outre sans doute être invoqués au gré des plaideurs. Ainsi, par exemple, une entreprise souhaitant contester le prix ou ses composantes ou obtenir le soutien du Ministre de l’économie, aura intérêt à invoquer l’article L. 442-1 du Code de commerce tandis que celle désirant éviter la compétence des juridictions spécialisées au profit d’un juge local ou agir en réputé non écrit plutôt qu’en responsabilité ou en nullité aura plutôt intérêt à invoquer le droit civil des contrats.

2. Appliquer ses contrats autrement

Les deux réformes impliquent une grande rigueur dans l’application des contrats, les comportements abusifs pouvant être contestés sur de multiples fondements : imposition d’un prix ou d’une variation de prix abusive, la charge de la preuve de l’absence d’abus reposant désormais sur la partie détenant la faculté de fixer les prix en matière de contrat-cadre, abus de dépendance, pratiques abusives du Code de commerce pour ne citer que quelques exemples de la vaste panoplie des outils de contestation à la disposition des plaideurs.

3. Gérer différemment la fin des relations

Le Code civil autorise la résolution des contrats par notification unilatérale, application d’une clause résolutoire et résolution judiciaire. Les conditions de forme à respecter sont désormais gravées dans le marbre et strictes. Mais le respect des règles civiles ne met pas forcément le cocontractant à l’abri d’une contestation au regard du droit commercial. Ainsi, l’application d’une clause résolutoire doit caractériser une faute grave au regard de l’article L. 442-1 du Code de commerce si l’on entend mettre fin à une relation commerciale établie sans préavis.

Une plus grande prudence est donc de mise et surtout, le rôle du juriste est plus essentiel que jamais dans la préparation et la mise en œuvre des décisions. Sa présence au sein des comités de direction est ainsi définitivement nécessaire au regard de l’importance du droit dans les relations commerciales.

Pour en savoir plus, rendez-vous le 31 Mars 2020 pour notre 12ème panorama d’actualité sur le droit des contrats

Joseph Vogel

Avocat au Barreau de Paris

VOGEL & VOGEL