Le cadre légal des relations fournisseurs distributeurs fait l’objet comme chaque année d’une actualité dense. En effet sur ces 2 derniers mois, nous avons pu noter :
- une Proposition de Loi visant à rééquilibrer les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs dont le texte est largement inspiré du rapport de la Commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs ;
- ainsi que l’adoption d’une loi permettant au gouvernement de prolonger le délai d’expérimentation du plafonnement des promotions et du rehaussement du seuil de revente à perte.
Au-delà, les relations fournisseurs distributeurs ont été particulièrement impactées par la crise sanitaire et beaucoup de questions ont émergé en relation avec cette crise. Dans ce contexte, la recommandation n°20-1 de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) en date du 6 juillet et publiée le 10 juillet était très attendue.
Elle traite précisément des effets de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les contrats conclus entre fournisseurs et grande distribution à dominante alimentaire et dresse une liste de recommandations à ce propos.
Pour rappel, la CEPC est une instance consultative, qui veille à l’équilibre des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation en vigueur.
Elle est composée d’un nombre égal de représentants des producteurs et des revendeurs, ainsi que de parlementaires, de magistrats, de personnalités qualifiées et de fonctionnaires, dont ceux du Bureau 3C de la DGCCRF particulièrement impliqués dans la mise en œuvre du cadre légal des relations fournisseurs-distributeurs.
Même si la commission doit normalement adopter ses avis et recommandations à la majorité des membres présents (article D. 440-12 du Code de commerce), elle a pris l’habitude de statuer à l’unanimité, ce qui permet de s’assurer d’un plus grand rayonnement de ses avis et recommandations. Ainsi, alors que ses avis et recommandations ne s’imposent ni aux entreprises, ni au juge, ils possèdent une réelle valeur, renforcée par la représentativité de ses membres et le recours à l’unanimité.
C’est ainsi qu’a été publiée la recommandation 20-1 qui vise à promouvoir les bonnes pratiques que les partenaires commerciaux sont invités à privilégier afin de faciliter l’exécution des conventions écrites en cette période de sortie de crise.
En tout premier lieu, la CEPC rappelle les effets de la crise sanitaire sur les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Les habitudes alimentaires bouleversées des consommateurs ont en effet, conduit les distributeurs à modifier leurs commandes en conséquence, ce qui, pour les industriels, s’est traduit :
• soit par une baisse drastique des commandes, dès lors que les consommateurs s’étaient détournés des produits en cause ;
• soit par une augmentation significative des commandes visant à répondre aux « mouvements de panique d’achat » des consommateurs.
Les industriels français ont donc dû faire preuve d’une grande adaptabilité pour continuer à fournir les distributeurs dans des conditions inédites. Ces circonstances, nous le savons, ont fortement impacté l’exécution des conventions écrites entre fournisseurs et distributeurs relevant des articles L. 441-3 et L. 441-4 du Code de commerce.
Dans sa recommandation, la CEPC rappelle tout d’abord les concepts de loyauté et de bonne foi, principes cardinaux du droit des contrats français. Ces principes doivent guider en tout état de cause l’exécution de ces conventions et l’invocation de mécanismes tels que la force majeure et l’imprévision mais également celle d’autres mécanismes de gestion des inexécutions contractuelles. La recommandation vise, à ce titre, l’exception d’inexécution et l’exception pour risque d’inexécution des articles 1219 et 1220 du Code civil. Liste à laquelle aurait pu être ajoutée la résolution unilatérale pour manquement grave de l’article 1226 du Code civil, mécanisme non sans risque mais qui peut s’avérer particulièrement utile.
La CEPC articule ensuite sa recommandation autour de 3 axes principaux en matière logistique, commerciale et de médiation.
Concernant ses recommandations en matière logistique, la CEPC fait référence à sa recommandation 19-1 portant sur les bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques dans laquelle elle a estimé qu’au titre des circonstances pouvant être exonératoires de l’applicabilité des pénalités, figuraient les crises sanitaires. Elle appelle ainsi à faire preuve de pragmatisme et à privilégier un traitement différencié des pénalités logistiques selon les circonstances propres à chaque relation contractuelle.
Elle invite ainsi les distributeurs à ne pas revenir sur la suspension des pénalités admises depuis le début de la crise et à constater leur annulation.
Concernant les pénalités, on pourra remarquer une légère ambiguïté de la recommandation dans la mesure où l’ensemble des distributeurs concernés n’a pas forcément suspendu de manière expresse les pénalités. Doit-on considérer que la suspension provient du seul fait de ne pas avoir annoncé l’application de pénalités dans les délais habituels ? Dans l’affirmative, certains distributeurs ne pourraient-ils par arguer du fait que s’ils n’ont pas annoncé les pénalités pendant cette période, ce n’est pas qu’ils entendaient les suspendre mais qu’ils ont été simplement empêchés de transmettre les avis de pénalités dans des délais normaux en raison de la crise.
Gageons que la DGCCRF qui a participé au débat sera attentive à ce que les opérateurs concernés, fournisseurs et distributeurs, ne dévoient pas le sens de la recommandation et n’appliquent pas de pénalités pendant cette période.
Finalement, dans la mesure où les fournisseurs comme les distributeurs ont été perturbés dans leur fonctionnement pendant cette période, il serait sûrement plus utile de consacrer désormais des ressources à l’amélioration du fonctionnement de la supply chain plutôt que d’essayer de pénaliser des fournisseurs qui ont joué un rôle clé pour la filière lors de cette crise.
Ce débat relatif aux pénalités, dans une période où on aurait pu attendre légitimement une forme d’union sacrée, qui aurait dû conduire naturellement à une absence de pénalités, révèle de manière flagrante que cette problématique est loin d’avoir été réglée par le précédent avis de la CEPC (19-1).
Nous ajouterons que, sur un plan plus juridique, l’application de pénalités pour des inexécutions contractuelles imputables à la crise sanitaire demeure contestable. Quiconque décide d’en appliquer doit être conscient du risque juridique que cela implique :
• au regard des dispositions de l’article L. 442-1 du Code de commerce relatives au déséquilibre significatif ;
• mais également au regard de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 qui prévoit des mécanismes de report précis et ce même si les termes de l’ordonnance peuvent apparaître, à certains égards, ambigus. Nous regrettons à ce titre que la CEPC ne cite pas cette ordonnance, dans la mesure où cela aurait pu être l’occasion de lever certaines de ces ambiguïtés.
Au-delà de la question des pénalités, nous rejoignons la CEPC qui incite aux discussions et à l’adaptation des contrats en cours si besoin. Notamment, il est particulièrement utile de préconiser :
• la mise en place « le plus rapidement possible des démarches de progrès spécifiques à la sortie de crise » ;
• de s’accorder « sur un suivi individualisé des taux de service, en accompagnant le retour à une situation normale d’aménagements prenant en compte d’éventuelles variations de volumes dans les commandes » ;
• d’assurer « une transparence de l’information sur les éventuelles difficultés à honorer les commandes en mettant en place un mécanisme d’alerte dans un délai préalablement déterminé entre les partenaires commerciaux. Si les fournisseurs ne sont pas en mesure de livrer les produits commandés, cette information permet aux distributeurs de trouver des solutions alternatives pour leurs approvisionnements et de limiter ainsi l’impact à l’égard des consommateurs » ;
Ceci rappelle qu’il faut favoriser, pendant cette période de sortie de crise jusqu’à un retour à la normale, une application raisonnée du contrat qui consiste à donner la meilleure information possible sur les difficultés rencontrées plutôt que d’exiger une exécution totale du contrat sans prise en compte des circonstances.
Pour ses recommandations en matière commerciale, la CEPC invite les parties, « si elles le souhaitent, au regard des effets de la crise sanitaire sur leur relation commerciale, [à] procéder le cas échéant à une adaptation de certaines obligations pour l’avenir, dans le respect du principe de l’équilibre contractuel (…) » et des règles applicables.
En effet, les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs sont rythmées par la conclusion d’une convention écrite, souvent annuelle, qui doit être signée au plus tard le 1er mars. Néanmoins, rien n’empêche les parties d’adapter leur convention en cours d’exécution dès lors que l’équilibre contractuel a été bouleversé par des éléments extérieurs et imprévisibles, comme c’est le cas de cette crise sanitaire.
Dans ce cadre, la CEPC attire l’attention des fournisseurs sur l’équité des cadences de livraison entre les différents clients. Il nous semble important de rappeler que l’équité en question ne signifie pas « égalité » dans la mesure où les fournisseurs doivent tenir compte des différentes obligations prévues dans chaque contrat pour statuer sur ce qui est équitable. De manière générale, nous considérons qu’il est toujours préférable de privilégier un traitement équitable de ses clients.
Concernant l’assortiment, enjeu majeur de l’exécution de ces contrats, la CEPC recommande « Le retour à la mise en place de l’intégralité de l’assortiment initial » qui « doit être la priorité des opérateurs ». Elle ajoute que « Les parties doivent définir les objectifs de présence en point de vente et les délais de mise en place. Par exception, des adaptations sont envisageables si certaines références ne peuvent être fabriquées pour des contraintes de production ». De ce fait, elle confirme qu’il ne serait pas juste pour un distributeur ou un fournisseur de profiter de cette crise pour réduire les assortiments initiaux.
La CEPC recommande d’appliquer le plan initial de lancement des innovations et de l’adapter quand cela n’est pas possible. Elle invite également les parties à réviser le chiffre d’affaires prévisionnel « sur des bases négociées et agréées par les parties ».
Concernant les services rendus par les distributeurs, la CEPC préconise « lorsque ces services n’ont pas pu être réalisés en tout ou partie, une évaluation des modalités d’exécution ou d’adaptation des services [soit] établie par les parties, afin par exemple de replanifier ou d’envisager des services alternatifs, d’un commun accord entre les parties, dans le respect de l’économie du contrat ». Elle ajoute que « Le cas échéant, il est procédé au remboursement ou à des compensations ». Sur ce point, il nous semble impératif d’être extrêmement vigilant car certains services obéissent à des contraintes saisonnières fortes et le simple report peut s’avérer particulièrement défavorable au fournisseur.
Enfin concernant le plan promotionnel, et si celui-ci est affecté par la crise sanitaire, la CEPC recommande qu’il soit « révisé et adapté au regard de la faisabilité des opérations sur le second semestre 2020 » et que les contrats de mandats soient « également adaptés en conséquence ».
La troisième partie de la recommandation est consacrée à la médiation, solution que nous encourageons fortement. En effet cette procédure a l’avantage de pousser les parties à trouver par elles-mêmes la solution qui permettra de régler la difficulté rencontrée. En outre, elle a l’avantage de demeurer confidentielle et généralement plus rapide qu’un contentieux classique ; elle apparait ainsi économiquement plus efficace.
La CEPC rappelle fort justement son intérêt et souligne que « s’agissant de relations commerciales durables et répétées, la médiation permet aux parties de construire, d’un commun accord, les meilleures voies de coopération pour le futur tout en réglant leurs désaccords antérieurs ». Elle indique que « l’expérience démontre que les parties qui ont recours à la médiation comprennent très vite qu’elles ont tout intérêt à trouver ensemble les voies d’un accord en maîtrisant le domaine exact des droits auxquels elles renoncent dans la recherche d’un nouvel équilibre contractuel imposé par l’évolution des circonstances. En ce sens, l’accord de médiation construit de bonne foi de nouvelles pratiques contractuelles acceptées par les deux parties ».
En matière de produits alimentaires, il est possible de saisir tout type de médiateur mais il peut s’avérer particulièrement utile de saisir le médiateur des relations commerciales agricoles (MRCA) en raison de la grande compétence de ce médiateur et de ses équipes en matière de relations industrie-commerce et des pouvoirs qu’il détient . Pour les autres produits, les entreprises pourront recourir au Médiateur des entreprises qui a prouvé sa capacité à aider les personnes ayant recours à la médiation, à trouver des solutions équitables.
En conclusion, les relations fournisseur-distributeur ont la particularité d’être encadrées par une règlementation particulièrement contraignante, il est donc important pour les entreprises concernées d’en maîtriser toutes les dimensions. Nous encourageons donc les entreprises à étudier avec attention cette recommandation afin d’identifier tout ce qu’elles pourraient en tirer dans le cadre de leur relation commerciale.
En outre, nous recommandons aux entreprises concernées de réaliser, les actions suivantes :
• Faire un bilan de cette période pour pouvoir s’assurer de la manière dont ont été exécutés les contrats et notamment du sort des commandes passées au cours de cette période . Il pourrait être particulièrement dommageable pour les fournisseurs de laisser en suspens des commandes qui n’auraient pas été exécutées ;
• Documenter tous les événements qui se sont déroulés pendant cette période et qui ont pu gêner l’exécution normale du contrat ;
• Informer précisément les clients sur les espoirs de retour à la normale et corriger, à chaque fois que cela est utile, ces prévisions ;
• Prendre toutes les précautions nécessaires pour la conclusion de nouveaux contrats ou le renouvellement de contrats existants. En effet, désormais l’entrée en vigueur de nouvelles mesures gouvernementales ne rempliraient pas forcément les caractéristiques de la force majeure en ce qu’elles pourraient ne pas être considérées comme imprévisibles ;
• Sans oublier d’essayer de capitaliser sur tout ce que les parties ont pu réaliser de positif pendant cette période de crise sachant que cette capitalisation peut être favorisée par l’utilisation de méthode éprouvée.
Nicolas Genty et Jessica Ramond
Avocats à la Cour
Cabinet Loi et Stratégies
A ce sujet, vous pouvez également consulter d’autres articles de Maîtres Nicolas Genty et Jessica Ramond :
- « Covid-19 et gestion des contrats : premiers conseils » – Article paru dans la Revue de l’Industrie Alimentaire le 30 mars 2020 ; et
- « Covid-19 – L’impact sur vos relations contractuelles : le point sur les concepts de force majeure et d’imprévision » – Sur le site de leur cabinet Loi & Stratégies.