La clause de complément de prix, ou d’earn out : Vertus et vicissitudes

Bien que d’un recours moins fréquent que dans les pays anglo-saxons, la clause « d’earn-out » fait désormais partie des outils de négociation pour près du quart des transactions en Europe.

Cette croissance continue témoigne de la volonté des parties à l’opération de partager l’espoir de réussite ou le risque de contre-performance entre acheteurs et vendeurs, surtout lorsque la cible est récente, en devenir et qu’aucun historique ne permet de tabler sur la ferme certitude que la reprise des titres de la société se soldera par un succès.

Quant aux modalités de détermination de la clause, et sa durée, elles peuvent être variées mais la référence à l’EBIT/EBITDA est somme toute celle qui revient le plus souvent bien que ce ne soit pas le critère qu’un vendeur devrait privilégier, celui du chiffre d’affaires moins influençable par la gestion du cessionnaire devrait effectivement lui être préféré. Quant à sa durée, une période de 24 à 36 mois parait très largement plébiscitée par les opérateurs.

Le succès grandissant de la clause de complément de prix s’explique clairement par la convergence des attentes du cédant et le prix de cession susceptible d’être supporté par le cessionnaire au regard de l’environnement économique de la cible, ses résultats, l’étude de ses fragilités et de ses points de force actuels et dont la pérennité est toujours chose mal aisée à anticiper.

Mais on ne peut douter des avantages respectifs qu’offre cette clause « d’earn-out » puisqu’en recourant à cet outil le cessionnaire se rassure en s’acquittant d’une partie du prix en fonction de la performance de l’entreprise cible acquise sur une période de temps que les parties fixent librement et durant laquelle, généralement le cédant reste intéressé à la bonne gestion de la société.

Soit les parties s’accordent à considérer que la cible présente un potentiel de développement non négligeable justifiant pour le cédant l’exigence d’un prix supérieur à celui acquitté dans un premier temps par le cessionnaire, soit à l’inverse celui-ci peut craindre une stagnation des résultats de la société et se protège alors d’une surévaluation du prix proposé.

D’autres hypothèses font de la clause  «d’earn-out» un outil de négociation précieux, et c’est notamment le cas lorsque la réussite de l’opération est attachée à la personne du cédant qui se doit de rester responsable de la gestion et de la direction pendant une période de passage incompressible.

C’est pour toutes ces bonnes raisons que le fractionnement du prix de cession auquel la clause aboutit n’est toutefois pas sans risque fiscalement si les indicateurs de performance ou plus généralement les modalités de détermination du déclenchement de la clause écartent tout caractère aléatoire et plus généralement n’évitent pas les écueils fiscaux.

Sur le terrain de la fiscalité l’intérêt de la clause « d’earn-out » est de reporter l’imposition du montant de la cession au jour de son versement effectif et non à celui de la cession des titres et de lui voir appliquer le régime fiscal favorable des plus-values (et non celui des revenus ordinaires).

Observons cependant que le code général des impôts ne dispose de traitement spécifique du complément de prix qu’en matière d’impôt sur le revenu et le définit comme devant être « exclusivement déterminé en fonction d’une indexation en relation directe avec l’activité de la société dont les titres sont l’objet du contrat ».

Il en va ainsi lorsque l’indexation est fonction par exemple du bénéfice de la société ou de son chiffre d’affaires, ou même comme cela a pu être jugé, des recettes perçues à raison en cas de succès de litiges en cours, mais le complément du prix de cession ne peut être en aucune manière et même partiellement acquis, garanti et certain.

Sous peine que l’Administration considère la clause « d’earn-out » comme dissimulant une modalité de fractionnement du prix de cession arrêté lors de l’acquisition des titres par le cessionnaire ou encore l’assimile à une simple clause d’ajustement de prix sans rapport avec des critères de performances initialement choisis par les parties et présentant à au jour de la cession un caractère totalement aléatoire.

Le soin qu’il convient d’apporter à la détermination des modalités de la clause est si important que, comme suggéré plus haut le versement du complément de prix est très souvent subordonné également à la présence du cédant durant une période de référence couverte par la convention. Par suite l’administration, peut-être prompte à requalifier le versement complémentaire du prix de cession qui lui apparaitrait comme la rémunération du travail fourni par ce dernier en salaires ou bénéfices non-commerciaux même s’il résulte de la jurisprudence que la seule condition de présence du cédant, ou dirigeant ne suffit pas, à elle seule, à caractériser la rémunération d’une activité lucrative.

Si cet écueil est évité « l’earn-out », est imposé au titre de l’année au cours de laquelle le cédant le perçoit selon le régime des plus-values (flat tax de 30 % sauf option pour le barème progressif et les abattements pour durée de détention).

Dans le cas d’une cession de titres réalisée par une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés, en l’absence de texte la doctrine administrative accepte le traitement du complément de prix sous le régime favorable des plus-values à long terme pour autant qu’il reçoit un traitement comptable compatible avec cette qualification.

En l’absence même de requalification le mécanisme du complément de prix peut s ’avérer complexe.

Ainsi en est il lorsque ce complément procède d’un complément d’attribution de titres dans le cas d’un apport initial de titres ayant bénéficié d’un report d’imposition.

Ou encore lorsque dans une opération d’apport-cession prévue à l’article 150 0B Ter du CGI le complément est déclenché par la cession des titres apportés, puisque dans cette situation le maintien du report dépend d’un réinvestissement de 60% du produit de cession. Toutefois, en pareille hypothèse, la solidité de la qualification du complément de prix permet une computation du délai de réinvestissement de deux ans suivant la cession à compter du versement du complément. Au risque à défaut, de perdre le report d’imposition pour cause de réinvestissement tardif.

Mais force est de constater en outre que peu de commentaires entourent la situation du cessionnaire.  Ainsi si la loi prévoit que le prix de revient fiscal des titres acquis par des personnes physiques est augmenté du montant de « l’earn-out », ce qui réduit l’éventuelle plus-value de cession ultérieure des titres, rien n’indique de quelle manière la personne morale cessionnaire doit inscrire ce complément de prix à son actif.

Deux écoles se divisent sur ce sujet, celle qui estime que le complément de prix doit ajuster l’estimation provisoire des titres lors de leur acquisition et celle qui faisait du prix initial, une valeur définitive, traite le complément comme une charge financière.

L’enjeu est comme on le voit sensible sur un mécanisme qui prend un essor croissant et qui dans bien des cas constitue une alternative efficace aux garanties de passif.

Pour en savoir plus, 20ème édition de notre RDV : Actualité des LBO, le Jeudi 12 Décembre 2019 à Paris.

Avocat associé, CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS

Lionel LENCZNER