Loi Pétroplus, les bonnes intentions ne font pas toujours les bons textes !

Jean-Emmanuel KUNTZ
Avocat aux Barreaux de Paris et Bruxelles
KUNTZ & ASSOCIÉS
Intervenant EFE sur la formation « Droit des procédures collectives » des 24 et 25 octobre 2012 à Paris

La loi du 12 mars 2012, n° 2012-346, dite loi Pétroplus a, tout comme le médiatique dossier qui l’a vue naître, déjà fait couler beaucoup d’encre[1]. Et pour cause ! Si les louables intentions du législateur de protéger un débiteur français contre le dépeçage organisé par sa société mère étrangère ne font pas débat, tel n’est pas le cas des mesures qu’il tente de mettre en place, au travers de six articles votés à l’unanimité à l’Assemblée et au Sénat en tout juste huit jours.

La qualité des textes ainsi adoptés se ressent nécessairement de l’urgence ayant présidé à leur rédaction. Surtout, la praticité de telles dispositions reste à prouver. Le législateur a en effet tenté d’instaurer de nouvelles mesures conservatoires à la portée très incertaine sur les biens dont le débiteur est détenteur précaire (I). Au surplus, la conformité de telles dispositions aux normes qui leur sont supérieures est loin d’être assurée (II).

I- De nouvelles mesures conservatoires à l’efficacité incertaine

Le Livre VI du Code de commerce autorise déjà aux articles L. 631-10 et L. 651-4 la prise de mesures conservatoires sur les biens d’un tiers lorsque ce dernier est dirigeant associé de la société en redressement judiciaire ou qu’il fait l’objet d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actifs.

La loi du 12 mars 2012 introduit deux nouvelles dispositions visant à permettre, sous le contrôle du Président du Tribunal, la prise de mesures conservatoires sur les biens d’un tiers. L’article 1er de la loi du 12 mars 2012 introduit ainsi un nouvel alinéa à l’article L. 621-2, lequel permet de prendre toute mesure conservatoire sur les biens du tiers visé par une action en extension de procédure. Les articles L. 631-7 et L. 641-1 du Code de commerce renvoyant directement à l’article L. 621-2 du même Code, ces nouvelles dispositions sont applicables tant en sauvegarde qu’en redressement et liquidation judiciaire. Compte tenu cependant des critères très restrictifs posés par la Cour de cassation pour voir prononcée l’extension de procédure, il n’est pas certain qu’une telle mesure soit bien utile. Plus encore, son seul effet sera sans doute de mettre inutilement en difficulté le tiers propriétaire des biens visés.

Par ailleurs, l’article 2 de la loi du 12 mars 2012 introduit un nouvel article L. 631-10-1, applicable uniquement en redressement judiciaire, lequel permet la prise de mesures conservatoires sur les biens « du dirigeant de droit ou de fait à l’encontre duquel l’administrateur ou le mandataire judiciaire a introduit une action en responsabilité fondée sur une faute ayant contribué à la cessation des paiements du débiteur ». Indirectement, le législateur semble donc ouvrir la voie à une nouvelle action en responsabilité à l’encontre du dirigeant, celui-ci se voyant jusqu’ici seulement inquiété en liquidation judiciaire, dans le cadre de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif. La portée d’une telle action en responsabilité reste cependant restreinte. En effet, en cas d’adoption d’un plan de redressement et de paiement intégral du passif, on peine à établir le préjudice causé par la faute du dirigeant. De la même façon, en cas de conversion du redressement en liquidation judiciaire, les dispositions spéciales de l’article L. 651-2 tendront à exclure l’application des dispositions nouvellement créées. Dans ces conditions, il est permis de s’interroger sur la portée véritable de telles dispositions et sur les justifications apportées à l’introduction inavouée d’un nouveau cas de responsabilité au travers de nouvelles mesures conservatoires à l’utilité toute relative.

Plus problématique encore, la conformité des nouvelles dispositions aux normes qui leur son supérieures est loin d’être garantie.

II- Une conformité aux normes supérieures peu probable

Outre la création de deux nouveaux cas de prise de mesures conservatoires à l’encontre des biens d’un tiers, la loi du 12 mars 2012 va plus loin, en permettant aux organes de la procédure collective, sur autorisation du Juge-Commissaire, de céder lesdits biens lorsque leur conservation ou leur détention génère des frais ou qu’il sont susceptibles de dépérissement. L’affectation du prix de cession soulève alors des incertitudes, le législateur prévoyant seulement que les organes de la procédure collective pourront, lorsque les fonds disponibles du débiteur n’y suffisent pas, payer les frais de gestion desdits biens sur ce prix « y compris pour assurer le respect des obligations sociales et environnementales résultant de la propriété de ces biens », le solde restant consigné à la Caisse des dépôts et Consignations. Cette dernière assertion laisse perplexe, toute obligation sociale ou environnementale ne pouvant peser que sur l’exploitant (le plus souvent le débiteur) et non sur le propriétaire du bien.

Ainsi, sur le fondement d’une simple mesure conservatoire, l’administrateur ou le mandataire judiciaire va pouvoir procéder à la réalisation d’un bien non compris dans le périmètre de la procédure collective, puisque propriété d’un tiers, sans disposer d’un quelconque titre exécutoire. Nul doute que ces dispositions comportent une violation flagrante du droit de propriété consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen[2] et par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

En outre, il n’est pas certain que les nouvelles sanctions instaurées indirectement par l’article 2 de la loi du 12 mars 2012 satisfassent aux exigences de clarté et d’intelligibilité de la loi. Pour les praticiens, une seule question reste donc en suspend : à quand une question prioritaire de constitutionnalité ?


[1] Voir notamment les commentaires suivants : P.-M. Le Corre, Pour quelques barils de plus chez la fille, et pour quelques dollars de moins… chez la mère : la loi Pétroplus du 12 mars 2012, Revue Soc. 2012, p.412, Ph. Roussel Galle, Mesures conservatoires, confusion des patrimoines et action en responsabilité, DPDE mars 2012, p.3, BJS, 01 mai 2012 n° 5, P. 424, obs. N. Pelletier

[2] Voir notamment Conseil Constitutionnel, décision 89-256 DC du 25 juillet 1989, cons. 17, Rec. p. 53, n°90-283 DC du 8 janvier 1991, cons. 6, Rec. p. 11 et 91-303 DC du 15 janvier 1992, cons. 8, Rec. p. 15, décision 2011-118 QPC du 8 avril 2011, Journal officiel du 9 avril 2011, p. 6363, texte n°91, cons. 3 et décision QPC 2011-176 du 7 octobre 2011, cons. 5

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