Le régime spécial des contrats de travail à caractère international

Yves BrulardAvis d’expert par Yves Brulard
Avocat Associé
DEMOLIN BRULARD BATHELEMY
DBB PDGB
Intervenant EFE pour la formation « Contrats de commerce internationaux », les 11 et 12 décembre 2012 à Paris

Plus de quatre décennies après son adoption, la Convention de Rome sur la Loi applicable aux obligations contractuelles, du 31 octobre 1980, n’a pas fini de livrer tout son potentiel d’interprétation.

Actuellement, plusieurs demandes de décision préjudicielle en interprétation sont pendantes devant la Cour de justice de l’Union européenne − parmi elles une relative à l’interprétation de l’article 6 paragraphe 2 de la Convention relative à la loi applicable aux contrats individuels de travail impliquant un conflit de loi du fait de leur caractère international, présenté par le Hoge Raad des Nederlands – Pays Bas, du 8 février 2012, Aff. C-64/12, « Firma Anton Schlecker/M.J. Beodeker ».

Il convient de rappeler que la Convention est fondée sur le principe du respect de l’autonomie de choix des parties relatives à la loi applicable, qui peut porter sur une partie ou la totalité du contrat, et doit être exprimé au moment de la conclusion du contrat ou après, de manière explicite dans une clause du contrat ou ressortir de manière implicite de l’ensemble des circonstances de la cause.

À défaut de ce choix, la Convention prévoit que le contrat sera régi par la loi du pays avec lequel le contrat présente des liens les plus étroits.

De part leur spécificité, certains contrats ont bénéficié d’un régime un peu particulier en faisant l’objet de dispositions prévoyant une application un peu plus nuancée. Partant de la considération que les contrats individuels du travail nécessitent un régime à part dans le but d’apporter une protection plus adaptée à la partie la plus faible, à savoir les travailleurs, l’article 6, paragraphe 1 a établi une limitation à la liberté de choix par les parties à la loi applicable. En effet,  il est prévu que dans les contrats de travail, le choix des parties « ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article ». De plus, selon la dernière phrase du paragraphe 2, ces deux critères de rattachement ne sont pas applicables lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable.

La question préjudicielle à laquelle doit répondre la Cour de justice prochainement, consiste à préciser si dans les situations où le travailleur accomplit le travail qui fait l’objet du contrat de travail non seulement de manière habituelle, mais également pendant une longue période et sans interruption dans le même pays, c’est la loi de ce pays qui est applicable, même si toutes les autres circonstances indiquent un lien étroit entre le contrat de travail et un autre pays ? Et si pour cela, il est important que l’employeur et le travailleur, aient eu l’intention, au moment où le travailleur a commencé à travailler, que le travail soit accompli dans le même pays pour une longue période et sans interruption, ou à tout le moins qu’ils aient eu conscience qu’il en serait ainsi ?

La réponse à cette question viendra certainement apporter de la lumière sur le dernier cas de figure prévue par l’article 6 de la Convention, en s’ajoutant à la chaine de la jurisprudence récente de la Cour en interprétation du sens des critères de rattachement spécifiques applicables aux contrats de travail à caractère international, comme le pays ou le travailleur « accomplit habituellement son travail » (1) ou dans l’impossibilité de sa détermination celui du siège de l’établissement qui a embauché le travailleur (2.).

1. L’application de la loi du lieu ou le travailleur « accomplit habituellement son travail »

C’est dans un arrêt de principe rendu en mars 2011, dans l’affaire « Koelzsch »[1] que la Cour de justice a été amenée à interpréter le sens de ce critère, qu’elle a d’ailleurs considéré comme prioritaire pour déterminer la loi applicable à un contrat de travail, à défaut du choix des parties, ouvrant la voie à l’application des dispositions impératives favorables au travailleur.

M. Koelzsch, chauffeur de poids lourds, domicilié en Allemagne, a été embauché comme chauffeur international par Gasa (filiale d’une société danoise) par un contrat de travail régi selon le choix des parties, par le droit luxembourgeois.

Suite à son licenciement, le requérant a présenté plusieurs recours en Allemagne et au Luxembourg en annulation de la décision du licenciement et en dommages et intérêts, pour finalement reprocher aux juridictions luxembourgeoises de ne pas avoir pris en considération des dispositions impératives de la législation allemande qui lui étaient favorables en interdisant son licenciement en tant que travailleur protégé, en méconnaissance de l’article 6 paragraphe 2 de la Convention de Rome.

Par conséquent, la Cour d’Appel de Luxembourg a saisi la Cour de justice de la question préjudicielle suivante : « Est-ce que la règle (…) de l’article 6, § 2 a) (…) énonçant que le contrat de travail est régi par la loi du pays ou le travailleur, en exécution du contrat accompli habituellement son travail, doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où le travailleur exécuterait la prestation de travail dans plusieurs pays, mais reviendrait systématiquement dans l’un d’entre eux, ce pays doit être considéré comme étant celui où le travailleur accomplit habituellement son travail ? [2]»

En réponse, la Cour de justice a considéré que le critère du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail », édicté au paragraphe 2, sous a), doit être interprété de façon large, et qu’il a vocation à s’appliquer dans les situations comme en l’occurrence ou le travailleur exerce son activité dans plusieurs États membres et par conséquent il est important de déterminer l’État avec lequel le travail présente un rattachement significatif. Pour le faire, la juridiction de renvoi doit prendre en considération la nature du travail, le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, reçoit les instructions sur ces missions, où il organise son travail, le lieu où se trouvent ses outils de travail, etc[3]. En conclusion, dans l’hypothèse ou le travailleur exerce ses activités dans plus d’un État contractant, le pays à partir duquel le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur doit être considéré comme l’État de lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, au sens de l’article 6 § 2 a) de la Convention de Rome.

2. L’application de la loi du pays de l’établissement de l’employeur

La détermination de l’État du lieu de l’établissement de l’employeur est un critère subsidiaire pour déterminer la loi applicable aux contrats internationaux de travail. En effet, dans la jurisprudence précitée, la Cour de justice a considéré que ce critère n’est applicable que s’il est impossible d’établir l’État du lieu ou le travailleur accompli son travail habituellement.

La Cour a eu l’occasion d’interpréter ce critère dans un arrêt récent en décembre 2011 dans l’affaire « Jan Voogsgeers c/Navimer SA »[4].

Dans cette affaire, les parties avaient choisi le droit luxembourgeois comme le droit applicable au contrat de travail en question. Pourtant, M. Voogsgeers avait invoqué les dispositions impératives de la loi belge en appui de son droit à l’indemnité de licenciement. En effet, il soutenait qu’il était lié par son contrat de travail à l’entreprise belge Naviglobe, et non pas à l’entreprise Navimer, et qu’il avait accompli son travail principalement en Belgique où il recevait les instructions par Naviglobe et où il retournait après chaque voyage.

C’est dans le cadre de son recours en appel devant les juridictions belges que la juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice d’une demande préjudicielle portant sur l’interprétation du critère de l’établissement de l’employeur.

En réponse, la Cour a considéré qu’en principe la notion d’établissement de l’employeur correspond à l’établissement qui a procédé à l’embauche du travailleur et non pas à celui avec lequel il est lié pas son occupation effective. Elle a ajouté que la personnalité juridique n’est pas un critère indispensable à cette qualification. Elle a précisé en plus que peut être considéré comme un établissement de l’employeur, un établissement qui ne figure pas comme tel formellement dans le contrat de travail mais avec qui celui-ci a des liens réels tels que établis par des éléments objectifs, sans qu’il soit nécessaire à ce que le pouvoir de direction soit transféré à cette autre entreprise.

 


[1] C.J.U.E., Arrêt du 15 mars 2011, Aff. C- 29/10, « Heiko Kolzsch c/ Etat du Grand –Duché de Luxembourg », non publié au Recueil de jurisprudence.
[2] Idem, § 29.
[3] Idem, § 49.
[4] C.J.U.E., Arrêt du 15 décembre 2011, Aff. C-384/10, « Jan Voogsgeerd c/Navimer SA », non publié au recueil.

Laisser un commentaire