Clause de liquidation préférentielle : comment encadrer les risques ?

La liquidation préférentielle ou, pour utiliser l’anglicisme approprié, la « liquidation preference » qu’elle soit « participating or non participating » est devenue une clause quasi systématique des levées de fonds réalisées par des start-ups.

Les clauses de liquidation préférentielle protègent l’investissement en cas de performances moindres de l’entreprise financée au regard des perspectives qui l’avaient motivé. Elles offrent d’affecter aux investisseurs une part du prix ou boni plus importante que celle qu’ils auraient perçu par le jeu d’une répartition au prorata du capital.

L’objet économique de cette clause est clair : l’investisseur bénéficiant de cette clause souhaite pouvoir recevoir, en priorité sur tout autre associé, tout premier versement monétaire opéré par la start-up, quel que soit le mode de versement et ce, jusqu’à un niveau financier déterminé. Le raisonnement de l’investisseur est simple, il considère qu’il prend un risque financier important en investissant dans une société en devenir et donc il souhaite être « remboursé » en premier de cet investissement avant que les fondateurs de la société ou les autres associés ne reçoivent un produit financier versé par la start-up. Ce droit spécifique s’exerce généralement sur toute forme de versement opéré par la société émettrice : dividende, boni de liquidation, cession d’actifs significatifs ou encore prix de vente des actions de la société.

Si l’objectif économique se comprend facilement, la mise en œuvre en droit français d’une clause typiquement américaine est moins aisée.

Aux termes de l’article L.228-11 du Code de commerce, toute société par actions peut créer statutairement des actions de préférence assorties de droits particuliers de toute nature à la constitution de la société ou au cours de son existence. Ces droits particuliers peuvent se matérialiser notamment par un droit octroyé aux actionnaires de préférence à recevoir un dividende préciputaire, c’est-à-dire un dividende versé par priorité vis-à-vis des autres associés.

L’action de préférence est donc l’outil juridique le plus adapté pour créer la « liquidation preference » au moins en ce qui concerne le versement de dividende ou de boni de liquidation. Les conditions d’émission prévoiront ce dividende ou boni préciputaire en faveur des actionnaires de préférence à hauteur, par exemple, du montant du prix de souscription (valeur nominale et prime d’émission) des dites actions de préférence [1].

Les actions de préférence sont soumises aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil (applicable à toute société qu’elle soit commerciale ou civile) et donc à la prohibition des clauses dites léonines, c’est-à-dire notamment les clauses qui attribuent la totalité du profit à certains associés seulement.

On peut évidemment s’interroger sur l’éventuelle contrariété à cette disposition d’actions de préférence attribuant un dividende préciputaire important à un associé-investisseur. L’application obligatoire de ce dividende ne prive-t-elle pas les autres associés de la possibilité raisonnable de recevoir un profit de la société émettrice ?

C’est peut-être en raison de ce risque que les clauses de liquidation préférentielle comprennent en pratique, quasi systématiquement, un premier niveau de dividende ou boni versé à l’ensemble des associés – de préférence ou de droit commun – à hauteur à minima, du montant de la valeur nominale de l’action en cause. Ce premier niveau de versement – première couche du millefeuille financier créé par la clause de liquidation préférentielle – permet d’être certain que tous les associés recevront une part – même faible – du profit généré par la société émettrice. Ce n’est qu’après le service de ce premier versement que le deuxième – celui des actions de préférence – est mis en œuvre si le montant du dividende ou du boni le permet.

Ce premier niveau est tellement systématique qu’il a été utilisé depuis quelque temps par les fondateurs de start-ups pour rééquilibrer le rapport de force financier avec leurs associés-investisseurs. Dans les négociations avec les fonds d’investissement faisant leur entrée dans le capital de la société émettrice, on constate de plus en plus que ce premier versement n’est plus égal à la valeur nominale des actions mais plutôt à un pourcentage du versement disponible. Ainsi, par exemple, 10% ou 15% du montant global du dividende est réservé à un versement égalitaire à l’ensemble des associés avant que le solde de ce dividende ne permette de servir l’investisseur actionnaire de préférence de son dividende préciputaire.

Pour achever la description complète du millefeuille financier ainsi créé, on peut constater que lorsque le versement du dividende préciputaire est opéré, survient alors un troisième niveau de versement ; celui en faveur de l’ensemble des associés au prorata de leur détention du capital. En effet, semblable au premier niveau de versement, ce troisième étage est la conséquence directe du service complet du dividende préciputaire ; une fois celui-ci réalisé l’ensemble des associés recouvrent leur droit naturel à la perception des profits de la société.

En pratique on constate également, à ce troisième niveau de versement, des spécificités de rédaction selon les négociations : soit la clause est dite participative « liquidation preference participating » et l’actionnaire de préférence qui a reçu son dividende préciputaire reçoit également sa part, au prorata rata de la détention du capital, de ce troisième versement (il participe à ce troisième étage de la fusée) soit, au contraire, la clause est « non participating » et cet ultime versement est fait au profit des associés de droit commun exclusivement.

Il faut préciser immédiatement que, dans ce dernier cas, la clause doit être accompagnée d’un droit de conversion des actions de préférence en actions de droit commun (en vertu des dispositions de l’article L228-14 du Code de commerce) au profit de l’investisseur puisque, à défaut, la clause lui serait très défavorable. En effet, en cas de versement d’un dividende très important, il ne recevrait que le montant de son investissement et plus aucune somme au-delà (étant exclu du troisième étage de la fusée) soit un montant éventuellement inférieur au dividende normal qu’il aurait reçu au prorata du capital s’il n’avait pas disposé de ce droit préciputaire. La conversion permet à l’investisseur de revenir à cette situation de droit commun si elle lui est plus profitable financièrement.

La liquidité préférentielle est ainsi organisée selon une cascade de versements successifs en faveur de l’un ou l’autre des associés. Mais si cette liquidité est organisable assez facilement en ce qui concerne le dividende ou le boni de liquidation, ce n’est pas dans ces situations qu’elle est le plus utilisée.

En effet, au nombre des évènements de liquidité qui permettent le déclenchement de la clause, figure surtout le prix de vente des actions. Les levées de fonds organisées depuis quelque années concernent des start-ups dont la capacité à générer du résultat distribuable n’est pas encore démontrée mais qui ont néanmoins une valeur de marché certaine. C’est donc majoritairement en cédant leur participation dans la société que les investisseurs et les fondateurs réalisent leur rentabilité et leur profit. Le fait que la liquidité préférentielle s’applique à ce flux financier est donc essentiel.

Or, c’est concernant ce versement que la qualification juridique est sans doute la plus incertaine. En effet, on comprendrait mal quel droit particulier pourrait être attaché à une action de préférence concernant le prix de vente des actions puisque ce prix de vente des actions qui devrait être attribué prioritairement à l’investisseur n’est pas le prix de vente des actions de préférence elles-mêmes, ce prix est a priori égal au prorata desdites actions dans le capital global. Il s’agit en fait d’une part du prix de vente des autres actions ; celles détenues par les autres associés. L’objectif est de faire en sorte que le prix de vente de toute action (de préférence ou ordinaire) soit réparti selon la grille de répartition définie. Ainsi en cas de sous performance l’investisseur de préférence empoche une part du prix de vente qui devait revenir aux autres associés.

Que la clause de répartition préférentielle soit prévue statutairement ou contractuellement (dans un pacte d’associés), elle nous semble revenir soit à une promesse de rétrocession, soit à une promesse d’accepter une répartition inégalitaire du prix de vente des actions. En effet, dans la première hypothèse les fondateurs s’engagent à rétrocéder une partie du prix de vente auquel ils auraient pu avoir droit ; auquel cas le prix passe, même un instant de raison, dans leur patrimoine avant d’être rétrocédé à l’investisseur avec des conséquences fiscales nécessairement difficiles à anticiper avec précision et une qualification difficile à envisager (donation ?). Dans la seconde, ils s’engagent à accepter de recevoir un prix par action presque inexistant (hypothèse d’une vente à la valeur nominale) pendant que les investisseurs cédant des actions de la même société reçoivent un prix beaucoup plus élevé ; auquel cas, non seulement ceci suppose l’accord du cessionnaire (va-t-il accepter de désavantager des fondateurs qui restent peut être dirigeants de la société après son acquisition ?) mais il existera potentiellement un risque de nullité de la première vente pour vil prix.

Ces risques nécessitent manifestement une rédaction contractuelle appropriée intégrant des sanctions ad hoc pour les fondateurs qui refuseraient d’appliquer la clause une fois la cession de la société envisagée[2].


[1] Dans cette hypothèse, on parle d’une liquidation préférence « 1X » c’est-à-dire à hauteur d’une fois le montant de l’investissement. On pourrait aussi imaginer une « liquidation préférence » à hauteur de « 2 X », par exemple, c’est-à-dire égale à deux fois le montant de l’investissement initial. La clause assure ainsi le remboursement de l’investissement et une rentabilité minimale égale à une fois le montant de l’investissement. C’est rare pour les levés de fonds dans les start-ups. n1 \lsdunhideu

[2] C’est peut être également la raison pour laquelle l’association Le Galion, association d’entrepreneurs et de fonds d’investissement des secteurs innovants a récemment commencé à remettre en cause le caractère systématique de cette clause dans la dernière version de son modèle de Term-Sheet.

Pour aller plus loin :
Panorama d’actualité des LBO
le 12 décembre prochain à Paris

Charles-Emmanuel Prieur

Avocat, UGGC Avocats

Laisser un commentaire