Ratification de l’ordonnance du droit des contrats : on sait désormais à quoi s’attendre !

Ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats : on sait désormais à quoi s’attendre !

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 « portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations » sera ratifiée (2). Elle devrait l’être avant l’été.

Le contenu de la loi de ratification peut même être très largement prédit, et ce en dépit du désaccord qui persiste à l’issue des votes en première lecture par les deux assemblées (3) puis du vote en seconde lecture par le Sénat, intervenu le 1er février 2018.

 

Tout d’abord, Sénat et Assemblée nationale s’entendent pour ne corriger qu’à la marge l’ordonnance, considérant qu’il est trop tard pour détricoter les règles nouvelles, règles auxquelles les praticiens ont dû s’habituer et qui sont entrées en vigueur depuis le 1er octobre 2016. Les parlementaires n’ont pas manqué de s’émouvoir d’avoir été ainsi contraints par le calendrier à un vulgaire contrôle des malfaçons de l’ordonnance. Ils ont néanmoins justifié par leur sens des « responsabilités » n’avoir pas voulu reprendre de fond en comble les textes nouveaux. Il n’y aura donc pas de réforme de la réforme mais tout au plus des ajustements, clarifications et corrections, ce qui était le souhait exprimé dans les revues par les auteurs universitaires et praticiens (4).

 

Ensuite, les deux chambres ont d’ores et déjà votés conformément la plus grande part des modifications envisagées.

Il est acquis, par exemple, que deux erreurs de rédaction de l’ordonnance, déjà parfaitement identifiées en doctrine, seront effacées : les défauts des formules de l’article 1327-1 sur la cession de dette et de l’article 1352-4 sur les restitutions dues par un mineur (5) seront gommés.

Dans la même veine, plusieurs dispositions ayant suscité l’inquiétude de la pratique ou les doutes de l’Université seront clarifiées . Voici les principales, dans l’ordre du Code civil :

– le préjudice réparable en cas de faute commise dans les pourparlers ne comprendra ni la perte des avantages attendus du contrat négocié (ce qui est la rédaction actuelle de l’article 1112) ni la perte de chance d’obtenir ces avantages ;
– la réticence dolosive (art. 1137) ne pourra pas être caractérisée en cas de silence gardé par une partie sur la valeur de la prestation de l’autre. Dit autrement, la fameuse jurisprudence « Baldus » sera explicitement consacrée pour faire taire les doutes subsistants ;
– la définition de la capacité des personnes morales (art. 1145) sera retouchée afin que soit indiqué plus clairement qu’une personne morale peut faire … ce que les textes qui la régissent l’autorisent à faire. Ceci devrait apaiser les inquiétudes de la pratique, qui avait cru pouvoir déceler dans le texte actuel une modification des solutions qui avaient cours quant à la capacité des personnes morales ;
– la prohibition pour un mandataire de représenter les deux parties au contrat (art. 1161) sera doublement limitée : elle sera réservée aux mandataires personnes physiques et ne jouera qu’en cas d’opposition d’intérêts entre les parties. La conclusion de contrats entre sociétés d’un même groupe ayant le même représentant sera donc possible ;
– la possibilité pour le débiteur de résister à une demande en exécution forcée en opposant que la mesure est disproportionnée (art. 1221) sera réservée au seul débiteur de « bonne foi », c’est-à-dire à celui qui a tenté loyalement d’exécuter le contrat. La pratique, notamment dans le domaine de la construction, qui craignait que le débiteur, assuré de ne pouvoir être contraint de refaire l’ouvrage, se contente d’une exécution « à peu près » a été entendue.

 

Enfin, s’agissant même des désaccords subsistants, ils ne portent pas, le plus souvent, sur le sens de la modification souhaitable mais uniquement sur les limites qu’il convient d’assigner à cette dernière et les mots pour le dire.

Le consensus est ainsi fait sur la nécessité de préciser le champ d’application du contrôle du déséquilibre significatif (art. 1171). La définition actuelle du « contrat d’adhésion » n’a pas suscité l’enthousiasme, c’est le moins que l’on puisse dire. Le Parlement cherche à l’améliorer, mais il tâtonne encore . Cela étant dit, on peut raisonnablement prédire que la définition retenue visera les contrats dans lesquels existe des clauses ou un ensemble de clauses non négociables, déterminées d’avance par une partie. Par ailleurs, il est possible que le contrôle du déséquilibre significatif soit explicitement limité aux seules clauses de ces contrats qui ne sont pas négociables et ont été rédigées d’avance.

De même, les deux assemblées sont d’accord pour que la révision pour imprévision (art. 1195) soit exclue en présence d’obligations résultant « d’opérations sur les titres et contrats financiers », et ce afin de rassurer les marchés financiers, mais les textes votés n’emploient pas exactement la même formule.

 

Enfin, le Parlement souhaite ouvrir un peu plus la possibilité pour des parties à un contrat donnant lieu à un paiement de France de payer en monnaie étrangère. Mais alors que l’Assemblée nationale a mélangé cette question avec celle de la licéité des clauses d’indexation sur des monnaies étrangères, le Sénat (qui n’a pas commis cette erreur) suggère de permettre aux professionnels de payer en monnaie étrangère lorsqu’un tel paiement est communément admis ainsi que de permettre à tous de payer en monnaie étrangère les obligations résultant d’un contrat à terme ou d’une opération de change au comptant.

 

Au total, les véritables oppositions entre les deux chambres ne portent que sur un petit nombre de points. Et si on ne mentionne que ceux qui sont symboliquement ou pratiquement importants, leur nombre se réduit encore. Il n’en existe que deux. Le Sénat souhaite supprimer le pouvoir pour le juge de réviser le contrat en cas d’imprévision (seule une résiliation serait possible), tandis que l’Assemblée nationale, quant à elle, tient à ce pouvoir de révision judiciaire. Le Sénat souhaite également limiter le champ d’application du vice du consentement que constitue l’abus de dépendance (art. 1143), tandis que l’Assemblée nationale ne souhaite pas de modification.

 

On ajoutera, pour finir, que la disposition transitoire de la loi de ratification, votée par les deux assemblées en des termes voisins, rend bien compte de l’ambition modeste du texte attendu. Hormis les quelques véritables changements (définition du contrat d’adhésion, autorisation du double mandat principalement), qui ne s’appliqueront qu’aux actes juridiques conclus à compter de l’entrée en vigueur de la loi de ratification, les autres précisions ou corrections sont appelées à s’appliquer rétroactivement aux actes conclus depuis le 1er octobre 2016 : le législateur n’y voit que de simples dispositions interprétatives, qui font corps avec le texte interprété.

 

De tout cela, il résulte que l’occasion d’une refonte et d’une amélioration complètes de l’ordonnance n’a pas été saisie. C’est évidemment la sécurité juridique qui y gagne : les praticiens n’auront pas à maîtriser un troisième droit des contrats, qui viendrait s’ajouter au droit antérieur à l’ordonnance et à celui de l’ordonnance. Tout au plus devront-ils garder en tête que trois ou quatre changements ponctuels s’appliqueront aux seuls contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi de ratification. A vrai dire, ils ne s’en plaindront pas, car ces changements cadenassent des textes de l’ordonnance qu’ils avaient eux-mêmes jugés dangereux ou peu clairs.

 

Toutes ces questions seront analysées ainsi que leurs conséquences concrètes sur la négociation et la rédaction de vos contrats lors du « 10ème Panorama annuel du droit des contrats » qui aura lieu le jeudi 15 mars 2018 à Paris.

 

(1) olivier.deshayes@u-cergy.fr
(2) Le dossier législatif de la loi de ratification peut être consulté aux adresses suivantes : http://www.assemblee-nationale.fr/15/dossiers/ratification_ordonnance_2016_131.asp ; http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl16-578.html
(3) Le Sénat a voté en première lecture le 17 octobre 2017, l’Assemblée nationale le 11 décembre 2017.
(4) Sur ces erreurs, v. not. O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire article par article, éd. LexisNexis, 2016.
(5) Sur chacune de ces dispositions, v. l’exposé des doutes suscités par les textes actuels, in O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, op. cit.

 

Olivier Deshayes
Agrégé des facultés de droit
Professeur de droit privé (1)
Monsieur le Professeur Olivier Deshayes interviendra lors de notre conférence d’actualité « 10ème Panorama annuel du droit des contrats » qui aura lieu le mardi 15 mars prochain dans un grand hôtel au cœur de Paris.

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