Réforme droit des contrats : attention aux conséquences sur les fusions-acquisitions

Contract manager

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations entrée en vigueur le 1er octobre 2016 (l’ « Ordonnance ») vient principalement codifier des règles prétoriennes existantes en y ajoutant un certain nombre d’éléments de nouveauté que les praticiens en matière d’opérations de Private Equity et de fusions-acquisitions doivent désormais prendre en compte dès la phase précontractuelle.

En effet, l’Ordonnance restaure la sécurité et l’efficacité de la promesse unilatérale (I) et confirme le régime des pactes de préférence (II), deux instruments clefs utilisés par les praticiens dans les opérations M&A.

Régime stabilisé de la promesse unilatérale

Enjeu majeur dans la pratique M&A, la promesse unilatérale apparaît souvent dans les pactes d’actionnaires sous forme de clauses de good/bad leaver, clauses de drag et tag along, clauses d’entraînement, clauses de buy or sell, clauses de deadlock, clauses d’exclusion, etc. Par ailleurs, la promesse unilatérale est fréquemment utilisée en vue d’assurer une opération de portage ou, dans le cadre d’un ensemble contractuel, un complément de prix dit « earn out » à un actionnaire cédant.

L’Ordonnance a introduit dans le Code civil une définition assez classique de promesse unilatérale en son article 1124 dont le premier alinéa dispose : « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ».

En cas de rétractation du promettant avant la levée de la promesse par le bénéficiaire, ce dernier a désormais la possibilité de demander l’exécution forcée de la promesse unilatérale (C. civ. art. 1124, alinéa 2). L’alinéa 3 ajoute que le contrat conclu avec un tiers qui connaissait l’existence de la promesse est nul.

Ainsi, le nouvel article 1124 du Code civil entend mettre fin à la solution retenue par la Cour de cassation en 1993[1], réitérée à de nombreuses reprises[2], mettant les hauts magistrats sous le feu de la critique exprimée en doctrine et par les praticiens. Cette solution prétorienne consistait en l’octroi des dommages et intérêts refusant l’exécution forcée du contrat sauf à ce que les parties aient contractuellement stipulé une renonciation à l’article 1142 ancien du Code civil. Le législateur a entendu précisément revenir sur cette jurisprudence et restaurer la pleine efficacité des promesses unilatérales. Toutefois, il protège contre tout recours le tiers de bonne foi qui aurait acquis les titres en ignorant l’existence de la promesse. Dans cette hypothèse, la méconnaissance du promettant de la promesse ne pourra être sanctionnée que par l’octroi des dommages et intérêts.

Une question se pose quant à la renonciation expresse des parties à l’exécution forcée. Autrement dit, l’alinéa 2 de l’article 1124 est-il d’ordre public ?

Aux termes du Rapport au Président de la République, « dans la tradition du code civil, l’ordonnance n’affirme pas expressément dans un article spécifique le caractère supplétif de volonté de ses dispositions. En effet, leur caractère supplétif s’infère directement de l’article 6 du code civil et des nouveaux articles 1102 et 1103, sauf mention contraire explicite de la nature impérative du texte concerné ». En d’autres termes, tous les articles du nouveau droit des contrats sont, par principe, supplétifs de volonté, sauf lorsque leur nature impérative est précisément énoncée.

Eu égard au principe énoncé dans le Rapport, tel est le cas de l’article 1124 qui ne précise pas de caractère d’ordre public en son deuxième alinéa.

La réponse étant donc a priori négative, il pourrait être envisagé de renoncer à l’exécution forcée par une clause rédigée ainsi par exemple : « Les parties ayant conclu une promesse unilatérale de contrat ont décidé d’un commun accord d’écarter les dispositions supplétives de l’article 1124, alinéa 2, du Code civil. Le bénéficiaire accepte en connaissance de cause de renoncer à l’exécution forcée en nature. En cas d’inexécution par le promettant de l’une quelconque de ses obligations, le bénéficiaire ne peut obtenir de lui que de simples dommages et intérêts ».

Nouveau régime du pacte de préférence

Les pactes d’actionnaires prévoient quasi systématiquement des droits de préemption, de préférence ou de premier refus.

Codifiant la jurisprudence constante de la Cour de cassation[3], l’Ordonnance reconnait la possibilité pour le bénéficiaire du pacte de préférence de (i) demander l’octroi des dommages et intérêts et (ii) d’agir en nullité de la cession intervenue en violation dudit pacte et demander sa substitution au tiers acquéreur après avoir démontré la connaissance par le tiers de l’existence du pacte ainsi que de l’intention du bénéficiaire du pacte de s’en prévaloir (C. civ. art. 1123, alinéa 2).

Toutefois, cette double preuve de la collusion frauduleuse et plus particulièrement de la connaissance par le tiers de l’intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte est très difficile, voire impossible à rapporter de par sa nature (« probatio diabolica »).

Dans ce contexte, la réforme a astucieusement instauré une action interrogatoire, applicable à l’ensemble des pactes même existants avant l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, offrant au tiers la possibilité d’interroger le potentiel bénéficiaire sur l’existence ou non d’un pacte de préférence ainsi que sur ses intentions d’exercer ou non ses droits dans un délai raisonnable. A défaut de réponse, le bénéficiaire ne sera en mesure de solliciter la nullité du contrat conclu ou sa substitution au tiers.

Il n’en demeure pas moins que plusieurs questions se posent dans le cadre des opérations M&A. En premier lieu, les praticiens s’interrogent sur l’hypothèse où le bénéficiaire du pacte de préférence serait lié par une clause de confidentialité stipulée dans le pacte d’actionnaires par exemple. Il mérite d’être mentionné qu’à l’origine, le projet de l’Ordonnance prévoyait la réserve d’une clause de confidentialité mais celle-ci a été supprimée : cela signifie-t-il que le bénéficiaire pourrait utiliser la clause de confidentialité pour refuser de répondre à l’action interrogatoire sans pour autant perdre le bénéfice de son droit de préférence ? Puis encore, le fait de révéler l’existence du pacte de préférence et non son contenu serait-il un manquement à l’obligation de confidentialité ? Il nous semble opportun de prévoir systématiquement dans le pacte que l’action interrogatoire constitue une exception valable à la confidentialité.

En second lieu, il convient de s’interroger sur le moment de l’exercice de l’action interrogatoire dans les opérations M&A : doit-elle être exercée entre la lettre d’intention (« LOI ») et le protocole de cession ou bien entre le Signing et le Closing ? En tout état de cause, il conviendra de l’exercer avant le transfert de propriété des titres, c’est-à-dire avant le Closing.

Comme évoqué précédemment, l’alinéa 3 de l’article 1123 du Code civil impose au bénéficiaire un délai de réponse « qui doit être raisonnable » sans donner plus de détails sur l’appréciation du caractère raisonnable, invitant ainsi les praticiens à prévoir désormais dans les pactes les éléments d’encadrement de ce nouveau dispositif législatif tels que le délai de réponse, le contenu de la réponse ou encore la sanction en cas d’absence de réponse.

En guise de conclusion, force est de constater que dans la pratique des affaires un certain temps d’adaptation à ces nouvelles dispositions législatives sera nécessaire. Or, il n’en demeure pas moins que la transposition des solutions jurisprudentielles relatives au droit de préférence et la restauration de l’efficacité de la promesse unilatérale ont nettement renforcé la sécurité juridique du pacte d’actionnaires, élément essentiel de la pratique M&A et Private Equity.

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[1] Cass. 3e civ., 15 décembre 1993 n°91-10.199 Consorts Cruz

[2] Cass. 3e civ., 12 juin 2013, n°12-19.105 : en matière de vente immobilière ; Cass. Com., 13 septembre 2011, n° 1019-526 : en matière de cession de titres.

[3] Cass. Ch. Mixte, 26 mai 2006 n° 03-19.376 : RJDA 8-9/06 n° 883.

Droit des contrats

Charles-Emmanuel Prieur
Avocat Associé
UGGC AVOCATS

Intervenant lors de la Conférence EFE « Réforme droit des contrats : maîtrisez l’impact en droit des sociétés«  qui aura lieu le 16 novembre 2017 à Paris.

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