Nouvelle ordonnance sur les pratiques anti-concurrentielles

Avis d’expert : vers une nouvelle capacité des victimes à obtenir réparation

Michel Ponsard
Avocat à la Cour
UGGC Avocats

Intervenant lors de la conférence EFE « Nouvelle ordonnance sur les pratiques anti-concurrentielles : quel nouveau régime des dommages et intérêts ? » qui aura lieu le mardi 25 avril 2017 à Paris.

L’adoption prochaine du projet de d’ordonnance et du décret relatif aux actions en dommage et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles va marquer une évolution forte dans la capacité des victimes de pratiques anticoncurrentielles d’obtenir une réparation réelle du préjudice subi, même si ces dernières années les juridictions avaient accueillies de plus en plus d’affaires en dommages et intérêts avec des montants de condamnation significatifs.

Aussi il est intéressant, sans prétendre à l’exhaustivité, d’aborder la facilitation de la preuve par la victime ainsi que l’impact de la réforme sur la quantification du préjudice lui-même puis enfin le régime de la prescription.

Quelle facilitation de la preuve pour les victimes avec la nouvelle ordonnance ?

La grande difficulté des actions en responsabilité dans ces affaires tient par principe, dans la plupart des cas, dans la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. L’existence d’une décision d’une autorité de concurrence est bien sûr de nature à faciliter cette démonstration, même si une décision d’une autorité administrative indépendante n’a pas la même force juridique qu’une décision d’un tribunal.

Le texte pose une présomption irréfragable de l’existence d’une pratique prohibée lorsqu’elle est constatée dans une décision définitive prononcée par l’Autorité de la concurrence ou par la juridiction de recours. La présomption est simple en revanche quand ce constat résulte d’une autorité de concurrence ou d’une juridiction de recours d’un autre Etat membre de l’Union européenne. Il en résulte que cette présomption de pratique prohibée existe dès lors que les éléments relatifs au fond d’une décision sont définitifs, même s’il existe par ailleurs un recours portant sur un autre élément de la décision (par exemple, sur le montant de la sanction).

Le projet d’ordonnance entend faciliter également la démonstration du lien de causalité entre la faute et le préjudice en disposant qu’une pratique prohibée est présumée, jusqu’à preuve du contraire, causer un préjudice.

Le projet rappelle, conformément à la jurisprudence constante, que lorsque plusieurs personnes ont concouru à la réalisation d’une pratique prohibée, elles sont solidairement tenues de réparer le préjudice en résultant, ce qui signifie que le plaignant peut agir s’il le souhaite contre un seul des participants qui devra supporter l’ensemble de la réparation du préjudice subi (quitte à se retourner contre les autres participants). Il est en revanche très innovateur en prévoyant la responsabilité de l’entreprise, et non de la personne. Se faisant le principe de responsabilité sera susceptible d’être opposé au-delà des catégories juridiques à l’égard des groupes de sociétés par exemple, la mère portant la responsabilité des actes de sa filiale.

Quelle appréciation du préjudice ?

La seconde difficulté tient à la quantification du préjudice.

Comme l’ont rappelé les jurisprudences Courage et Manfredi de la Cour de Justice de l’Union Européenne (arrêt CJCE 20/09/2001 C 453-99 Courage, Rec 2001 p.I-6297; CJCE, 13/07/2006 (295/04 à 298/04, Manfredi, Rec 2006), la réparation du préjudice consiste à placer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si l’infraction ne s’était pas produite. Selon ces arrêts doivent être réparés non seulement le dommage réel (damnum emergens ou perte subie) mais également le manque à gagner (lucrum cessens) ainsi que le paiement d’intérêts.

Le préjudice économique est un préjudice complexe qui diffère du préjudice classique.

Il faut non seulement apprécier la perte directement subie par la victime mais au-delà apprécier le manque à gagner qui n’est pas le fait d’un simple calcul mathématique mais le résultat d’une opération d’évaluation et d’appréciation de données économiques complexes (arrêt Mulder de la CJUE du 27 janvier 2000, C-104/89 et C-37/90 ; §79 et suivants). Ce préjudice concurrentiel est évalué en recherchant quelle position aurait occupé l’entreprise sur le marché en l’absence de pratiques anticoncurrentielles. Cette évaluation complexe conduit en général à la mise en oeuvre d’un scénario contrefactuel consistant à comparer la situation sans entente et avec entente pour apprécier les conséquences des pratiques. Le projet de décret autorise la juridiction après avoir recueilli les observations des parties de solliciter l’avis de l’autorité de la concurrence sur l’évaluation du préjudice.

Le projet de nouvel article L. 466-3 du Code de commerce contient une liste –non limitative- des différents préjudices pouvant résulter d’une pratique prohibée par les articles L. 420-2.1 à L. 420-2.5 du Code de commerce.

1) On retrouve en premier lieu la prise en compte de la perte subie. Cette prise en compte peut s’avérer plus complexe qu’il n’y paraît. Dans le cas d’une entente de prix ayant entraîné un surcoût artificiel de ceux-ci, la victime aura subi un préjudice constitué par la différence entre le prix effectivement payé et celui qui aurait prévalu en l’absence de commission de la pratique prohibée. Encore faut-il qu’il n’ait pas répercuté ce surcoût sur son propre acheteur.

En substance, il est prévu que :

(i)               le demandeur qui a acheté directement auprès de l’auteur de la pratique prohibée le bien ou le service concerné par cette pratique et qui prétend avoir payé un surcoût, doit en prouver l’existence et l’ampleur, alors que

(ii)              le demandeur qui n’a pas acheté directement auprès de l’auteur de la pratique prohibée, s’il doit également prouver l’ampleur du surcoût est cependant réputé en avoir prouvé l’existence lorsqu’il justifie que :

  • le défendeur a commis une pratique prohibée ;
  • la pratique prohibée a entrainé un surcoût pour l’acheteur direct ;
  • qu’il a acheté des biens ou services concernés par la pratique prohibée, ou acheté des biens ou services dérivés de ces derniers ou les contenant.

Il s’agit toutefois d’une présomption simple que le défendeur peut renverser en prouvant que le surcoût n’a pas été répercuté sur l’acheteur indirect.

2) Le préjudice doit aussi prendre en compte le gain manqué résultant de la diminution du volume des ventes en raison de la répercussion partielle ou totale du surcoût mais aussi la perte de chance, dont celle de réaliser des gains ; A ce titre est pris en compte par la jurisprudence non seulement la perte directe et immédiate d’un volume d’affaires du fait des pratiques mais aussi le préjudice différé, c’est-à-dire celui s’inférant de la perte de clientèle immédiate. Comme le relève la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 14 décembre 2016, la perte de clientèle peut se prolonger par une baisse du volume d’affaires induite par l’absence de fidélisation de la clientèle directement détournée.  Enfin peut être retenu le préjudice permanent, c’est-à-dire celui postérieur à la pratique anticoncurrentielle en raison de la persistance dégressive des effets.

3) Enfin le texte évoque le préjudice moral, ce qui est plus inhabituel au regard de la jurisprudence.

Le projet de texte omet donc de mentionner la question de l’actualisation du préjudice et de la prise en compte des intérêts, ce qui en tout état de cause ne devrait pas empêcher les juridictions de continuer à le faire (Pour un exemple récent Cour d’appel de Paris, 14 décembre 2016, Switch c/ SNCF) d’autant que comme l’indique le projet la liste n’est pas limitative. Dans l’arrêt du 14 décembre 2016 la Cour d’appel a non seulement tenu compte de l’érosion monétaire (intérêt légal) mais également de la perte subie du fait de l’indisponibilité du capital[1].

Quelle est la Prescription ?

L’action en responsabilité se prescrit à l’expiration d’un délai de cinq ans pour autant que la pratique ait cessé. Ce délai commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaitre les actes prohibés, le dommage causé par la pratique et l’identité de l’un des auteurs de la pratique. Ce point de départ n’est pas nécessairement cohérent avec celui prévu pour les actions de groupe

La prescription est suspendue par une demande en justice, par un acte d’exécution forcée à l’égard de l’un des co-auteurs de la pratique ou par la reconnaissance par l’un d’eux de la pratique prohibée même en présence d’une procédure de clémence.

[1]Dans le même sens T.Com. Paris, aff. « Outremer Telecom », 16 mars 2015 ; appel pendant)  et CA Paris, aff. « Doux », 27 février 2014.

Pour en savoir plus, retrouvez-nous lors de la conférence « Nouvelle ordonnance sur les pratiques anti-concurrentielles : quel nouveau régime des dommages et intérêts ?«  qui aura lieu le mardi 25 avril 2017 à Paris.

 

 

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