Loyer binaire et baux commerciaux

Déséquilibre significatif

3ème civ. 3 novembre 2016, FS-P+B+R+I, n ° 15-16.826 et n°15-16.827

Renouvellement du bail commercial et détermination de la part fixe d’un loyer binaire : le nouveau rôle du juge

Par deux décisions rendues le 3 novembre 2016, la Haute juridiction a eu à statuer sur des baux commerciaux à loyer binaire, c’est-à-dire loyer comportant une clause de recette (variable du chiffre d’affaire) ainsi qu’un minimum garanti (partie fixe).

En la matière, c’est le célèbre arrêt « Théâtre Saint Georges » qui avait énoncé qu’à défaut d’accord des parties sur le montant de la part fixe du loyer en renouvellement stipulé dans le contrat de bail, les juges n’avaient compétence à fixer son montant à la valeur locative. Les parties n’avaient alors d’autre solution que de se mettre d’accord sur le montant du nouveau loyer minimum garanti, ou le laisser quasi inchangé. La jurisprudence a donc développé des clauses prévoyant la fixation du loyer minimum garanti du bail renouvelé à la valeur locative pour pallier à cette situation.

En l’espèce, les parties avaient stipulé que « la base sera fixée selon la valeur locative telle que déterminée par les articles 23 à 23-5 du décret du 30 septembre 1953, et qu’à défaut d’accord le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur ».

Or la Cour d’appel avait jugé que malgré cette stipulation, les dispositions de l’article L. 145-33 du Code de commerce s’imposent au juge qui ne saurait fixer le loyer du bail renouvelé, et qui ne peut en aucun cas excéder la valeur locative. Ce faisant, elle enlevait simplement la compétence que les parties elles-mêmes avaient souhaité donner au juge des loyers dans la fixation du loyer minimum garanti en fonction de la valeur locative.

La position de la Haute juridiction

La Cour de cassation quant à elle, mettant comme à son habitude la volonté des parties et la liberté des conventions énoncé par l’article 1134 du Code civil au sommet de sa réflexion, casse ces arrêts :

« La stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est composé d’un loyer minimum et d’un loyer calculé sur la base du chiffre d’affaires du preneur n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative ; que le juge statue alors selon les critères de l’article L. 145-33 précité, notamment au regard de l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l’abattement qui en découle ».

En substance la Cour énonce non seulement la prédominance de l’article 1134 du Code civil, mais aussi celui de l’article 12 du Code de procédure civile qui dispose que le juge « ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat ».

Ainsi, si les parties ont la liberté de stipuler dans leurs contrats ce qu’elles veulent concernant le montant du bail renouvelé, lorsqu’elles donnent au juge la compétence dans la fixation du minimum garanti, ce dernier doit respecter l’article L.145-33 du Code de commerce qui énonce les cinq critères pris en compte dans la détermination de la valeur locative (les caractéristiques du local, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, et les prix couramment pratiqués dans le voisinage), mais également l’article R. 145-8 du Code de commerce qui dispose qu’il est « aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé ».

Cette décision s’ancre manifestement dans un courant consacrant la volonté des parties, mais aussi l’augmentation des pouvoirs conférés au juge dans un domaine où il était mis à l’écart. Ainsi en donnant au juge la possibilité de contrôler la partie fixe de la clause de renouvellement du loyer binaire, la Cour donne de facto le pouvoir au juge d’influer sur la partie variable dont l’impact sera nécessairement pris en compte dans l’appréciation globale de la clause.

Attention toutefois à ne pas voir dans cet arrêt un revirement de la fameuse jurisprudence « Théâtre Saint Georges », car à défaut d’une telle clause par laquelle les parties donnent pouvoir au juge, la fixation du loyer restera hors de portée du juge…

Cette question relative au loyer binaire est un des nombreux thèmes que nos intervenants vont développer lors de notre conférence annuelle sur les baux commerciauxqui aura lieu les 1er et 2 février 2017 à ParisC’est pourquoi pour aller plus loin retrouvez-nous lors de cette journée exceptionnelle !

 

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Julie Nicolas

Responsable de Conférences Département Droit des Affaires- Fiscalité- Banque – Assurance

Organisatrice de la conférence annuelle sur les baux commerciauxqui aura lieu les 1er et 2 février 2017 à Paris.

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