Apport partiel d’actif soumis au régime des scissions : attention à la transmission des passifs cachés !

Sans titre-6 copierSamuel Schmidt
Avocat Associé
UGGC AVOCATS
Intervenant à la Conférence EFE Techniques de restructuration : intégrez toutes les nouveautés 2015

La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu en 2014 plusieurs arrêts relatifs à l’action en réparation du préjudice liée à l’exposition à l’amiante de salariés ayant travaillé sur les Chantiers navals de la Ciotat (voir principalement arrêt du 19 novembre 2014, n°13-19263). Ces arrêts soulignent les pièges que peuvent cacher les opérations d’apport partiel d’actif.

Les salariés plaignants avaient travaillé entre 1965 et 1978 sur des chantiers navals de la société CNC.

En 1982, la branche d’activité de la société (Chantiers navals de la Ciotat) au sein de laquelle ils avaient été employés, avait été, en novembre 1982, par suite d’une opération partiel d’actif placée sous le régime des scissions, apportée à une autre société (Normed).

Par un arrêté du 7 juillet 2000, l’activité de réparation et de construction navale correspondante a été inscrite sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) au profit des salariés concernés pour la période comprise entre 1946 et 1989.

Lesdits salariés ont décidé d’intenter une action devant les prud’hommes en 2011.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait jugé l’action des salariés irrecevable.

Sa décision était notamment motivée sur l’article 11 du traité d’apport qui prévoyait que la société bénéficiaire avait repris sans recours contre la société apporteuse les obligations contractées par cette dernière en application des seuls contrats de travails transférés dans les conditions prévues aux (anciens) articles L. 122-12 et L. 132-7 du Code de du travail. Or, à l’époque de l’apport partiel (1982), les salariés plaignants n’étaient plus en fonction (les derniers salariés plaignants avaient quitté leurs fonctions en 1978).

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en lui reprochant d’avoir ainsi statué « par des motifs inopérants tirés du transfert légal des contrats de travail en cours, sans qu’il résulte de ses contestations que l’obligation était étrangère à la branche d’activité apportée ou expressément exclue par le traité d’apport » (op. cit.).

Incertitudes sur les passifs transférés dans le cadre d’un apport partiel d’actif soumis au régime des scissions ?

Dans un arrêt en date du 16 février 1988 (Cass. com. n°86-19645), la Cour de cassation a jugé que la possibilité de soumettre un apport partiel d’actif au régime des scissions, prévue par l’article L. 232-22 du Code de commerce, n’emportait pas seulement application de la procédure propre aux scissions, mais également transmission universelle de patrimoine (TUP) relativement à la branche d’activité apportée.

De cette décision inaugurale proviennent toutes les difficultés. En effet, le mécanisme de transmission universelle de patrimoine est à l’origine un mécanisme créé pour les opérations de fusion et de scission. Or, ces opérations entraînent une transmission totale de la société qui disparaît au profit de la ou des sociétés bénéficiaires.

Il n’en va évidemment pas de même en cas d’apport partiel d’actif, dans laquelle l’entité apporteuse subsiste. Un éminent auteur avait pu ainsi jugé dès 1991 « qu’il existait une incompatibilité logique entre l’idée même de transfert universel de patrimoine et l’apport partiel d’actif » (Michel Jeantin « La transmission universelle du patrimoine des sociétés » Mélanges Derrupé, GLN Joly, Litec, 1991, page 287). Une fois cette incompatibilité logique relevée, il convient pour le praticien de s’interroger.

Quel est le périmètre des actifs et des passifs transférés ? Les stipulations du traité d’apport peuvent-elles sécuriser juridiquement ce périmètre ?

Dans un arrêt en date du 4 février 2004, la Cour de cassation a précisé « qu’en cas d’apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions, la transmission universelle des biens, droits et obligations s’opère de plein droit, dès lors que le bien, droit ou obligation se rattache à la branche d’activité apportée, même sur les biens, droits ou obligations de la société absorbée qui par suite d’une erreur, d’un oubli ou toute autre cause ne figureraient pas dans le traité d’apport ou de fusion » (Cass com 4 février 2004, n°00-13501).

Cela signifie que le juge peut dire a postériori que telle ou telle obligation fait partie de la branche d’activité apportée alors même que cette obligation n’était en réalité qu’un passif potentiel et inconnu au moment de l’apport. C’est exactement ce cas de figure qui est appliqué dans le cadre des actions en indemnisation relatives à l’amiante : au moment du transfert, les salariés qui vont intenter l’action quelques 30 années plus tard n’étaient plus salariés de la société apporteuse au moment de l’apport et la réglementation relative à l’amiante était encore embryonnaire (en France) !

Est-il possible de se protéger contractuellement contre de tels passifs potentiels ?

Selon la Cour de cassation, seule une dérogation expresse dans le traité d’apport aurait pu éviter la transmission des actions relatives à l’amiante. Mais cette notion de dérogation expresse semble être interprétée restrictivement par la Cour de cassation. Dans l’arrêt commenté, le traité d’apport précisait que la société bénéficiaire ne reprenait les obligations contractées par la société apporteuse que pour les « seuls » contrats de travail automatiquement transmis par l’effet des dispositions du code du travail. Cela n’est pas suffisant pour la Cour de cassation. Aurait-il été nécessaire d’inclure une mention expresse d’exclusion de tout passif résultant de l’amiante ? Peut-être mais alors c’est particulièrement exigeant car en 1982 les risques relatifs à l’amiante n’avaient pas encore été mis en avant (au moins en France) et il aurait fallu au(x) rédacteur(s) de l’acte un quasi don prophétique pour inclure une telle dérogation expresse ! On peut aussi penser à se protéger par la mise en place d’une véritable garantie de passif même si en l’espèce une telle garantie, si elle avait été mise en place (ce qui ne semble pas être le cas) aurait sans doute été prescrite (compte tenu des durées habituellement retenues dans ces garanties de nature contractuelles).

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