Ordonnance du 12 mars 2014 : quels changements anticiper sur le terrain ?

M LelievreYves Lelièvre
Président
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NANTERRE
Intervenant lors de la conférence EFE 20e Panorama annuel sur le droit des entreprises en difficulté qui aura lieu les 15 et 16 octobre 2014 à Paris.

 

Johanne Coutier, Rédaction Analyses Experts : quels sont les axes majeurs de l’ordonnance du 12 mars 2014 et du décret d’application du 30 juin 2014 ?
Yves Lelièvre, Président du TC de Nanterre : Si le cap des législations antérieures est conservé, le sauvetage des entreprises et des emplois, de profondes inflexions et de nombreuses innovations ont été apportées.
Plus précisément, l’ordonnance a pour objectif de faciliter l’anticipation de l’aggravation des difficultés des entreprises, de renforcer l’efficacité des procédures en adaptant leurs effets à l’égard des créanciers, du débiteur et des associés et d’adapter le traitement des situations irrémédiablement compromises en respectant à la fois les droits des créanciers et ceux des débiteurs.

Johanne Coutier, Rédaction Analyses Experts : va t-elle permettre la réalisation de ces objectifs ?
Yves Lelièvre : De mon point vue, la réponse est globalement positive.
1- Pour encourager la prise en charge anticipée des difficultés, il est prévu une nouvelle procédure dite de sauvegarde accélérée. Jusqu’à ce jour, pour être éligible à la procédure de sauvegarde, il ne fallait pas être en état de cessation des paiements. La nouvelle procédure le permet si l’état de cessation des paiements n’est pas supérieur à 45 jours de la date de demande d’ouverture de la procédure de conciliation. La conciliation doit être avancée et s’appuyer sur un projet de plan assurant la pérennité de l’entreprise et susceptible de recueillir un soutien suffisamment large pour une adoption sous trois mois. Il s’agit d’élargir les passerelles entre la conciliation et la sauvegarde en permettant l’adoption d’un plan sérieux de sauvegarde de l’entreprise malgré l’opposition de certains créanciers.
Cette évolution pose toutefois la question du rôle de la notion de cessation des paiements. Ce n’est plus le critère emblématique d’ouverture des procédures collectives. Si la cessation des paiements demeure essentielle on peut se demander pour combien de temps encore.
Il est, aussi, prévu que le président du tribunal puisse élargir la mission du conciliateur pour organiser une cession partielle ou totale de l’entreprise pendant la conciliation, ce que l’on appelle le « pré pack cession ». Mettre en œuvre une cession de l’entreprise, dans le cadre de la conciliation, est un facteur de rapidité qui doit aussi permettre une maximalisation des offres de reprise. Ce qui est souhaitable pour tous. La principale difficulté consiste dans l’articulation des impératifs de confidentialité de la conciliation et de la transparence et publicité nécessaire à la recherche de repreneurs. C’est une véritable difficulté qu’il appartiendra aux tribunaux de gérer.

2- Pour renforcer l’efficacité des procédures, un certain nombre de mesures ont été prises, non pour modifier les objectifs légaux mais pour rééquilibrer un droit souvent jugé trop favorable au débiteur. La cession forcée, un moment envisagée, n’a pas été intégrée dans cette ordonnance.
Pour obtenir un meilleur équilibre entre les contraintes imposées aux créanciers et la protection de l’entreprise, la voie retenue a été d’accorder aux créanciers membres d’un comité un pouvoir concurrent à celui du débiteur. Tout créancier peut proposer un plan qui fera l’objet d’un rapport distinct de l’administrateur judiciaire. C’est un moyen de permettre une reprise interne initiée par un créancier prêt à convertir sa créance ou pour un tiers soutenu par les créanciers en règlement judiciaire et respectant certaines conditions. Cette reconnaissance est légitime et c’est un renforcement net de leur droit.
Un certain nombre de mesures vont solliciter d’une façon accrue les actionnaires :
Le tribunal peut donner pouvoir à l’administrateur de convoquer un AGE pour abaisser les seuils de majorité requise pour voter les modifications statutaires prévues au plan,
L’administrateur en règlement judiciaire peut solliciter la désignation d’un mandataire pour voter la reconstitution des capitaux propres en faveur d’un intervenant engagé à exécuter le plan, à la place d’un actionnaire l’ayant refusé.
Les associés ou actionnaires peuvent, si une augmentation de capital est envisagée, compenser leur engagement d’apport avec les créances admises au passif de la procédure. Cette possibilité de compensation est une réelle avancée car elle va permettre de tenir compte de celui qui est à la fois associé et créancier et pour les créanciers, le fait de pouvoir transformer leur créance en participation au capital est un moyen de s’impliquer activement dans la solution nécessaire à toute sortie de crise. C’est aussi une façon d’inciter les actionnaires à participer à l‘augmentation de capital.

3- Pour le traitement des situations irrémédiablement compromises, des mesures fortes ont aussi été prises. La plus emblématique est la mise en place d’une nouvelle procédure dite de rétablissement professionnel. Elle est réservée aux personnes physiques, de bonne foi, sans salarié et dont la valeur de l’actif est inférieure à 3000 €. Elle aboutit, au terme d’une simple enquête de quatre mois, à l’effacement des dettes. Pour la personne qui en bénéficie, c’est très important car elle peut repartir sans être passée par la case liquidation. Il conviendra d’en mesurer l’impact et d’apprécier les résultats obtenus compte tenu du ciblage retenu et qui exclut toute forme de sociétés.
Dans le même esprit l’ordonnance permet une accélération des procédures. On pourra désormais clôturer la procédure lorsque l’intérêt de la poursuite est disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels. Et puis la personne morale peut désormais survivre à la procédure de liquidation judiciaire. Si elle est renflouée, elle pourra reprendre son activité et donc renaître de ses cendres !

En conclusion :
Je mesure toute la difficulté de modifier une législation aussi complexe, mais n’oublions pas que notre tissu industriel est très majoritairement constitué de PME et de TPE. Les textes doivent impérativement en tenir compte. Il en va de la sécurité juridique.
N’oublions pas, non plus, le caractère transnational de beaucoup d’opérations.
Cela nous oblige en termes d’attractivité de notre droit. Il ne faut pas l’oublier.
Sur un plan technique une meilleure prise en compte de la notion de groupes de sociétés serait très utile, de même qu’il conviendrait aussi de réfléchir à une amélioration des comités de créanciers. Il serait souhaitable de nous orienter vers la constitution de classes de créanciers tenant compte, pour le calcul des droits de vote, de la valeur des créances et du rang de subordination.

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